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Culture - Exposition

Charbel Samuel Aoun, dérangeur (de pierres) et résistant (sous les oliviers)

Dans un éden recomposé, en rempart contre la mutilation de la terre, Charbel Samuel Aoun donne la vie, greffe les plantes, réinvente la botanique et magnifie les fleurs. Face à ce microcosme naturel, son exposition « Necropolis » chez Mark Hachem* dénonce l'exode de la nature et donne envie de fredonner « Il y avait un jardin qu'on appelait la terre ».

« Le règne du vide » ; techniques mixtes sur bois (115 X 185 cm).

Après une expérience spatiale et multisensorielle, dans des installations qui dénonçaient la misère des refugiés, le quotidien des domestiques et d'autres réalités de la vie négligée, Charbel Samuel Aoun instaure le dialogue de la matière. Sur des assemblages de bois ramassés dans les chantiers et qui ont coulé leur lave bétonneuse dans le bleu des rivières, les épines des pins parasols récoltés sur les sentiers des forêts menacées, mélangées à de la cendre, à du goudron à des branches de bambou, laissent l'univers de l'artiste nous interpeller de plein fouet, dans une obscure maïeutique. Seule la présence de la pierre arrachée aux carrières des montagnes éventrées réveille la nostalgie des veilles demeures, celles lâchement abandonnées.

Espace vert ou espace verre ?
Le vert des montagnes a laissé la place au sable siliceux, au carbonate de soude, à l'alumine et au bioxyde de manganèse. Les surfaces vitrées ont barricadé les façades des immeubles, réduit la communication, isolé l'humain dans des mausolées qui prônent la modernité. Les oiseaux ont interrompu leurs chants faute de branches, les fleurs ont retenu leur parfum faute d'amour, les arbres ont freiné leur ascension, se sont inclinés face aux tronçonneuses et à l'arrogance des hommes, et la montagne a pleuré ses organes disséqués en larmes claires. L'artiste les a religieusement recueillis pour les mélanger au gris du béton et de la cendre, au noir du goudron et au marron de la poussière, dans un dernier cri d'alarme dont l'écho ne résonne plus qu'à l'ombre de ses pins, ses citronniers et ses mûriers. Pas de couleurs sorties du tube sur les planches de l'artiste, rien qu'une matière qui participe au crime contre l'humanité.

 

(Lire aussi : Il était un jardin qu’on appelait la terre...)

 

La vie mise en cage
L'approche, loin d'être banale et plutôt ardue, laisse perplexe. Face à des squelettes d'immeuble d'une ville fantôme désertée, une seule survivante : la pierre. Encagée ou dans un désir de liberté, elle s'échappe dans un envol désespéré, laissant sur son passage les traces de cratères béants, ceux d'un vide absolu, celui de nos âmes perdues, au détriment d'espaces déshumanisés. La perspective, héritage d'une carrière d'architecte volontairement interrompue, kidnappe votre regard et vous emmène dans les profondeurs de l'univers de Charbel Aoun. Il n'y a qu'un pas à faire du jardin d'éden, où sont entreposées les planches qui accusent la barbarie destructive, aux villes abandonnées par toute sensibilité environnementale là où seul l'esprit de la pierre résiste encore. Au-delà d'une toile, les œuvres par leurs dimensions tout en profondeur confrontent le spectateur à sa réalité. Cage nuage, Mausolée, ou Mont-Liban, des titres qui participent à un idéal laissé au bord du chemin, celui qui mène au jardin de l'artiste. Lorsque, dans un accompagnement musical assuré par les milliers d'oiseaux ayant trouvé refuge chez lui, Charbel Samuel Aoun déclare : « Face au virus, je crée un antivirus, je distribue des arbres que je plante moi-même, je construis des rêves à partager. Face au vide de la ville, je comble ma vie de matières qui honorent cette vie, qui transcendent l'esprit, celui de la sève, du pollen et des graines de fruits. »
Arrêter le fonctionnement écologique terrestre, interrompre le cycle de l'eau, détruire la biodiversité, aux détriments des chapes de béton et des tours en verre, c'est participer, chacun, à créer sa propre tombe, celle qui nous prendra de notre vivant. Mais reposer à l'ombre d'un olivier et déguster les mûres de toutes les tailles du jardin de Charbel Aoun, c'est résister comme lui et se sentir vivant.

*Jusqu'au 14 mai 2016. Mina el-Hosn, rue Salloum, imm. Capital Garden, rez-de-chaussée. Horaires d'ouverture : de lundi à samedi, de 10h à 20h. Tél. 70/949029.

 

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