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Économie - Liban - Focus

Pourquoi la BDL favorise la concentration des banques

Depuis deux décennies, les fusions-acquisitions se multiplient dans un secteur toujours proche de la saturation.

La BDL exclut toute fusion-acquisition entre les banques Alpha afin d’éviter la création de banques de taille systémique au Liban. Photo D.R.

Ces derniers mois, les annonces d'offres de fusions-acquisitions dans le secteur bancaire s'enchaînent : la Byblos Bank s'apprête à acquérir la totalité des parts de la banque Pharaon & Chiha, la Near East Commercial Bank (NECB) est en processus de fusion avec la Banque de l'industrie et du travail (BIT), tandis que la Cedrus Invest Bank (CIB) s'intéresse au rachat des parts majoritaires du Crédit libanais (CL). Mais le phénomène n'est pas nouveau, il est même encouragé par les pouvoirs publics depuis des décennies. La loi 192 de 1993 « facilite les fusions et acquisitions entre les banques et est conçue pour aider les petites banques (...) à éviter la liquidation. Le conseil central de la Banque du Liban offre donc à la banque absorbante des prêts concessionnels qui couvriraient les charges résultant de l'opération (...) si tel est le cas », note un rapport sur les fusions-acquisitions publié en décembre 2014 par la Blominvest Bank. Résultat ? Sur ces vingt dernières années, le nombre de banques libanaises a presque été divisé par deux – passant d'environ 80 à 54 banques commerciales en 2016.

Marché saturé
« Les fusions-acquisitions ont été encouragées par la BDL. Celle-ci voudrait voir les petites banques fusionner entre elles pour devenir des banques de taille moyenne et pouvoir être compétitives sur le marché ; ou encore le rachat des petites banques par une banque Alpha – c'est-à-dire les 14 banques dont les dépôts excèdent 2 milliards de dollars au Liban », explique Nassib Ghobril, directeur du département de recherche du groupe Byblos Bank.
Plusieurs raisons expliquent cette politique. Premièrement, avec environ 29 branches de banques commerciales pour 100 000 adultes, contre 13 pour la zone Mena, et un portfolio de crédits de 55 milliards de dollars pour une économie de 51 milliards de dollars, le marché bancaire Libanais est saturé : « Le Liban a beaucoup de banques, plus qu'il n'en faut, surtout des petites banques. Une trentaine de banques se partagent environ 5 % des actifs du secteur bancaire, leurs dépôts sont minimes, de même pour leurs bénéfices et leurs portfolios de crédits », résume le directeur du département bancaire au sein de la Banque du Liban (BDL), Nagib Anwar Choucair.
Autre raison, éviter les faillites dans le secteur. La mise en conformité avec les normes internationales en terme de blanchiment d'argent, le passage au numérique avec la banque en ligne, l'application des règles de protection du consommateur coûtent de plus en plus cher aux banques. Or, « certaines petites banques n'ont pas les moyens d'investir à ce niveau et ne peuvent pas entrer en compétition avec les autres banques. Pour survivre elles n'ont pas d'autre choix que de fusionner », continue M. Choucair. Ainsi, « la fusion avec une institution qui a déjà investi dans ces départements permet à la banque absorbée de faire des économies d'échelles », rappelle M. Ghobril.
Mais surtout, pour les grandes banques, les fusions-acquisitions restent essentiellement tributaires des conditions du marché. « Le manque d'opportunités d'investissements au Liban incite les banques à se livrer à des activités de consolidation. Quelque 29 % des actifs bancaires sont alloués au secteur privé, 35 % est déposé à la Banque centrale et 21 % est attribué au secteur public. Les banques ne savent plus où investir, le marché libanais est compressé, tandis que la région n'est pas assez stable pour y investir... », confirme M. Choucair. « Les banques préfèrent croître de manière traditionnelle, mais si le marché ne le permet pas, elles choisiront l'option d'une croissance inorganique », résume de son coté la directrice générale de Bankdata, Dany Baz.

« Too big to fail »
Reste un dernier facteur, et non des moindres : « La compétition entre les banques Alpha, bien qu'étant saine, est rude. Elles cherchent donc à gagner des places sur le classement des premières banques. Par exemple, la Byblos Bank et la Fransabank rivalisent pour la troisième place. Ainsi lorsque Fransabank a fusionné avec Ahli Bank en 2014 – pour 102 millions de dollars –, elle a dépassé la Byblos Bank dans le classement, cette dernière va donc absorber la banque Pharaon & Chiha », ironise M. Choucair.
Mais ces effets pervers sont non sans risques, c'est pourquoi la BDL exclut toute fusion-acquisition entre les banques Alpha afin d'éviter la création des banques de taille systémique au Liban. « Elles seraient considérées comme too big to fail (trop grosses pour faire faillite), car si elles venaient à sombrer, cela affecterait tout le secteur financier libanais, l'économie ne pourrait pas absorber le choc. Les banques doivent garder une taille raisonnable pour que la BDL puisse les secourir en cas de scénario catastrophe. En tous cas, nous menons régulièrement des stress tests pour évaluer les possibles risques systémiques sur le marché », explique M. Choucair.
Hormis cette exception, la BDL est plutôt partisane du laissez-faire. « La BDL facilite, du point de vue législatif, les fusions-acquisitions, mais n'intervient pas sur le marché. La décision appartient aux conseils d'administration des banques et de nombreux facteurs entrent en jeu lors des négociations, comme l'évaluation du coût de la banque absorbée, la question des employés, mais aussi des futures positions hiérarchiques au sein de la direction. Parfois, les négociations n'aboutissent pas, c'est pourquoi nous avons encore 54 banques au Liban », explique Nassib Ghobril. « Nous n'intervenons pas sur le marché mais nous délivrons aux banques notre accord final en cas de fusion-acquisition, mais avant d'aboutir à cet accord, plusieurs départements de la BDL sont chargés d'étudier en détail chacun des aspects de l'opération, c'est un long processus », conclut M. Choucair.

 

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