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Culture - Bipod 2016

Cash et banco, une plongée dans un vertigineux nocturne indien

Sous le titre énigmatique de « Kaash » (« Si seulement » en hindi), Akram Khan, le plus brillant chorégraphe anglo-saxon de sa génération, offre avec cinq danseurs, trois filles et deux garçons, un éblouissant tableau de danse. Un moment de dépaysement qui prend le spectateur au collet...

©Jean Louis Fernandez

Orient et Occident y ont un rendez-vous de faste, de fête native, de destruction, de mort, de résurrection, de spiritualité et de sensualité sous les faisceaux de lumière, sur une scène nue qui n'a brusquement besoin que de la résonance et de la cavalcade des dieux qu'on invoque et convoque, les dieux de cette Inde mythique et flamboyante. Ici, bichrome en noir et rouge. D'autant plus grandiose et captivante, cette frêle fresque, que le sculpteur Anish Kapoor règne sur l'aire scénique (tout l'art de sculpter l'espace...) et le compositeur Nitin Sawhney sur une musique ciselée venue d'un impressionnant underground asiatique. Deux touches d'éminents artistes indo-britanniques qui contribuent énormément à cette réussite. Avec quand même des instants vides et creux. Surtout quand la musique est absente, même si l'énergie ne fait jamais défaut. Parce que, au cœur de cette fabulation visuelle à couper le souffle, il y a ses actants, aux jupes de moine (ou derviches tourneurs), crânes rasés, aux torses comme taillés dans de l'onyx, et ses prêtresses, tigresses félines aux mains de lianes et aux jambes cavalières.
Si seulement le monde pouvait être recréé, les grands esprits de Ganesh, Krishna et Shiva seraient revenus pour le réinventer, le malaxer, le triturer, le sublimer, lui rendre un visage nouveau, assurément plus humain, plus émouvant, plus beau.
Dans un chaos absolu, mais maîtrisé, les traditions de l'Extrême-Orient (ce célèbre Kathak, dont le chorégraphe aux parents originaires du Bangladesh est si attaché) et les valeurs de la danse contemporaine occidentale les plus pointues fusionnent et s'imbriquent comme sabre au fourreau. En un style élégant, épuré, concis. D'une rapidité de morsure de serpent.

 

(Lire aussi : Les Vikings en habits et gestes d'Isadora Duncan)

 

Un monde qui se révèle
Vêtus de noir, les pieds nus, tourbillonnant dans le froissement des étoffes amples, les danseurs, par-delà quelques notes venues d'ailleurs comme des étoiles filantes, pulsations percussives, vibrations aux sonorités sèches, investissent en toute autorité les planches, devant une salle archicomble qui, au premier mouvement et claquement de draperies, s'interdit toute parole et s'électrise. Et boit, avec des yeux avides et déjà conquis (ce spectacle tourne avec succès depuis 2002), ce monde qui se révèle. Dans sa beauté transcendantale, son rayonnement, son chatoiement austère, sa chasteté de temple dédié à la prière ou à l'incantation, sa géométrie plurielle, ses angulations précises comme un coup de scalpel, ses corps entre statue de marbre et souplesse de gymnastes d'arts martiaux, ses mouvements furtifs et aussi rapides que le vent. Les bras sont des calligraphies qui défient le ciel avec des mains qui se referment en éventail telle une tête de cobra, menaçant ou protecteur...
Voici un monde partagé entre violence et tendresse, claquement des mains et renversement des bustes, regards durs ou chargés de mansuétude, doigts pour caresser ou tordre le cou au destin, bassin centre de gravité ou origine des perditions, rigueur et plaisir, vitesse d'exécution et rafales de tournoiements. Avec l'aveuglante force de ces bêtes hérissées qui fondent sur leur proie pour la dévorer toute crue... Voici un espace voué à un mouvement hybride, où les images fusent comme des galaxies et des comètes : juste le temps de les percevoir et, pfft, tout n'est plus là. On passe d'une vitesse-lumière à autre chose. Pas de redondances, mais une débauche d'images nouvelles, renouvelées. Comme une source jaillissante intarissable.
Si les danseurs ont une énergie décapante et inépuisable, c'est que la musique les motive, les soutient, les cadre, les soulève. Dans leur vélocité ou leur lenteur. Un mariage d'amour entre ces pulsations, ces cris, ces rythmes et ces corps qui rentrent au cœur des notes comme pour en faire leur essence, leur encens, leur bain de jouvence et de renaissance.
Une part de sacralité dans ce spectacle époustouflant à la plasticité impeccable. On en reste tout simplement pantois. Dans ce métissage vertigineux, dans ce flot et flux continus, dans ce don des métamorphoses, dans cette gestuelle fulgurante, dans ces accélérations fluidifiées et cette virtuosité du geste (d'arrêts brusques en reprises tout en grâce d'une certaine ondulation), la fascination est ici un fait de rigueur.


*« Kaash », d'Akram Khan, se donne encore ce soir au Madina à 20h30.

 

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