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Moyen Orient et Monde - Reportage

« Les gens pensent que Molenbeek, c’est Bagdad, mais non ! »

Molenbeek est désormais qualifiée de « capitale du terrorisme » ou encore de « plaque tournante des réseaux jihadistes », mais les habitants de la commune bruxelloise se disent choqués par cette
couverture médiatique.

Les habitants de Molenbeek sont fiers de la multiculturalité de leur commune et insistent sur le fait qu’ils y vivent « comme partout ailleurs ». Photos S. A. T.

Depuis l'attentat de Paris, le 13 novembre, qui a fait 130 morts et plus de 350 blessés, les yeux du monde sont rivés sur Molenbeek, l'une des 19 communes que compte Bruxelles, la capitale de la Belgique, et cœur de l'Europe. Et pour cause : la plupart des terroristes présumés seraient, selon les enquêteurs, originaires de ce quartier.
« Molenbeek n'avait pas particulièrement bonne image et n'avait pas forcément besoin d'une couverture médiatique comme celle-ci », lance d'emblée Adel Lassouli, ancien journaliste et habitant de la commune – une couverture dictée, selon lui, « par l'urgence et l'émoi » dont sont parfois victimes les journalistes. Il espère toutefois qu'après « les analyses passionnées, les journalistes se poseront les vraies questions de fond » concernant les problèmes structurels vécus par Molenbeek.

Molenbeek, située à dix minutes à peine de la Grand-Place et du célèbre Manneken Pis qui attirent des millions de touristes chaque année, est l'une des communes les plus pauvres de Belgique. Séparée de l'un des quartiers les plus chics de la capitale par un canal, cette commune à tradition industrielle se trouve dans ce que les sociologues appellent le « croissant pauvre ». Fortement urbanisée, la densité de la population est parmi les plus élevées du pays, avec 15 727 habitants au km². Une population particulièrement jeune, qui souffre d'un taux de chômage élevé : selon la Direction générale statistique, Statbel, 1 habitant sur 4 en âge de travailler est sans emploi. Sans oublier un niveau d'éducation relativement bas : toujours selon Statbel, 1 habitant sur 5 détient un diplôme de l'enseignement supérieur.

Cette commune, caractérisée par un tissu social particulièrement diversifié avec une majorité d'habitants d'origine marocaine, avait déjà, avant les tristes événements de la semaine dernière, mauvaise réputation au niveau local. Toutefois, les habitants sont fiers de la multiculturalité de leur commune et insistent sur le fait qu'ils y vivent « comme partout ailleurs ». Ils se disent « choqués » par la couverture médiatique dont elle a été l'objet. « Ils sont allés beaucoup trop loin, cela me fait mal d'entendre toutes ces choses au sujet de Molenbeek, ce sont des foutaises ! » martèle Farida Aarrass, qui a habité la commune pendant 35 ans.


(Lire aussi : Français ou Belges, la légion étrangère jihadiste de l'EI)

« Une minorité »
Les Molenbeekois se sentent encore une fois « abandonnés » et « trahis » par leurs politiciens, surtout après les propos tenus par la bourgmestre (la maire) de Molenbeek, Françoise Schepmans (MR Parti politique belge libéral). « Son attitude a confirmé le manque de compétence de son service d'ordre quand elle a demandé à Jan Jambon (le ministre belge de l'Intérieur, NVA) de venir faire le nettoyage chez nous alors qu'il n'y a rien à nettoyer! » s'offusque Mme Aarrass.

Pourtant, il est à noter que, depuis quelques années, Molenbeek est régulièrement évoquée dans des affaires liées à des actes terroristes, notamment avec Mehdi Nemmouche et Ayoub el-Khazzani. Le premier était l'auteur de l'attaque contre le musée juif à Bruxelles en mai 2014, et le second est le tireur qui avait été désarmé dans le Thalys, en août 2015. Ils ne sont pas de Molenbeek, mais ont eu un lien établi avec ce quartier.
« Les gens pensent que Molenbeek, c'est Bagdad, à cause de ce qu'ils ont vu à la télé. Mais non ! Quand ils viennent chez nous, ils se rendent compte que c'est un endroit où il ne se passe rien de spécial », lance Omar, jeune Molenbeekois, avant d'affirmer que « Molenbeek n'est pas la plaque tournante du jihadisme. Ceux qui ont fait ces actes ne représentent qu'une minorité ».

Une minorité qui, selon l'échevin (l'adjoint au maire) des finances de Molenbeek, Abdel Karim Haouari (CDH), « partagerait des points communs » : décrochage scolaire, petite délinquance, prison, etc. M. Haouari regrette d'ailleurs « qu'on ne se focalise pas sur le parcours personnel des suspects, plutôt que de stigmatiser l'ensemble des habitants de la commune, qui compte plus de 95 000 personnes ».


(Lire aussi : « Dire "l'islam ce n'est pas ça" n'est pas suffisant »)

 

Éloignement de la religion
Abdelhamid Abaaoud, tué lors de l'assaut de Saint-Denis, Bilal Hadfi, qui s'est fait exploser aux abords du Stade de France, et Abdeslam Salah, toujours en fuite, sont les trois suspects qui ont conduit les enquêteurs et la presse du monde entier dans les rues de Molenbeek.
Difficile de dresser un profil type de ces jeunes qui basculent dans l'horreur du radicalisme. Néanmoins, les acteurs sociaux présents sur le terrain confirment qu'il y a des facteurs qui rendent ces jeunes plus perméables que d'autres aux discours violents. « Pendant des années, on a joué la carte de la ghettoïsation, on a laissé les gens s'entasser dans des zones particulièrement denses sans se rendre compte de ce qui était en train de se jouer », explique Adel Lassouli. « Je crois que ce qui est en train de se passer, beaucoup de gens le voyaient venir, des sonnettes d'alarme ont été tirées, elles n'ont pas forcément été entendues », regrette-t-il.
Plusieurs éléments déclencheurs peuvent expliquer le « pétage de plomb » de certains jeunes, explique un éducateur de quartier souhaitant garder l'anonymat, qui dit avoir très bien connu Abdeslam Salah.
L'un des facteurs poussant à cette radicalisation violente serait, paradoxalement, leur éloignement de la religion. Dans une étude menée par l'anthropologue française Dounia Bouzar, ces profils auraient baigné dans un environnement familial en rupture avec la religion. Un discours qui se vérifie à l'échelle locale, où toutes les mosquées condamnent ces violences, arguant que cette éducation et cette imprégnation à la violence se jouent à travers Internet notamment.


(Lire aussi : La « connexion belge » des affaires de terrorisme islamique en Europe)

 

Profil type ?
Pour cet éducateur de rue, « le facteur religieux n'est pas le plus important, il y a un vrai problème identitaire chez les jeunes de Molenbeek, le point de départ étant le décrochage scolaire ». Selon lui, « il y a de véritables problèmes sociaux qui rendent cette jeune population extrêmement fragile : le racisme qui les pousse à ne pas se sentir comme des citoyens belges à part entière, et donc ne pas appartenir à la communauté nationale ; l'exclusion; le manque de réhabilitation et le manque de travail ».
« Je connais des jeunes dealers qui gagnent 3 000 euros par mois, qui sont prêts à laisser tomber s'ils trouvaient un emploi beaucoup moins payé pour avoir une vie stable », explique encore l'éducateur de quartier, « mais le problème, c'est qu'ils sont stigmatisés et en manque cruel de reconnaissance, ils ne trouvent pas leur place ».
Les racines du problème se trouveraient dans cette réalité-là, selon plusieurs témoignages. « Si l'on observe bien, ils ont plus ou moins le même parcours : un niveau d'éducation bas, un passé de délinquant qui les mène en prison, lieu où ils basculent dans la radicalisation », ajoute l'éducateur.

Pour Olivier Veraghen, agent de prévention à Molenbeek, « l'absence de reconnaissance, et donc du respect de soi, pousse ces jeunes à remettre en question la société dans laquelle ils vivent pour aller chercher des réponses ailleurs ». Il tient cependant à souligner que « ce problème de radicalisation ne touche pas que sa commune, mais les jeunes de manière générale ».
Pour Adel Lassouli, une chose est évidente : « Il est difficile de cerner un seul profil, mais il y a un ensemble d'indicateurs qui font qu'à un moment donné, le jeune est en rupture et en perte de repère, ce qui ne facilite pas une évolution normale. »

Nouvelles mesures de sécurité
Jeudi dernier, le Premier ministre belge Charles Michel a annoncé que 400 millions d'euros supplémentaires en faveur de la sécurité et contre le terrorisme seront injectés, et 18 nouvelles mesures seront prises. Parmi celles-ci, les plus spectaculaires concernent les combattants revenant de Syrie, qui se verront directement jetés en prison. Pour les autres, une procédure contradictoire sera instaurée pour imposer le port d'un bracelet électronique.
Deux mesures avec lesquelles Nathalie Gallant, avocate du père de Abdelhamid Abaaoud, est totalement en désaccord, « quand on sait que c'est en prison justement que le bât blesse ». Selon elle, la prison est « l'endroit le plus dangereux, plusieurs cas ont démontré que c'est bien là que naît le processus de radicalisation ».

 

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