L’insoluble dossier des ordures !

Pour la première fois depuis longtemps, les diplomates occidentaux en poste au Liban semblent dépassés par la situation. Ils ne comprennent pas comment un dossier comme celui des déchets qui touche tous les Libanais, toutes régions et communautés confondues, en provoquant des maladies infectieuses, sans parler des autres désagréments, peut rester insoluble pendant trois mois et aucune perspective de solution n'est envisagée.

Un diplomate européen raconte en effet qu'en toute bonne foi, il avait, au début de la crise, fait le tour des parties politiques et des responsables dans une tentative d'aider à trouver une solution. Se faisant fort de l'expérience concluante dans son pays, il avait soumis à ses interlocuteurs un projet qui se base sur deux points, d'abord le tri à la base entre les déchets recyclables et les ordures ménagères. Pour tout ce qui est recyclable, l'affaire est entendue. Mais les déchets organiques peuvent être transformés en énergie électrique écologique et même rentable. Selon ce diplomate, dans son pays, les spécialistes ont trouvé une technique particulière qui leur permet cette transformation et qui a d'ailleurs été brevetée. L'usine qui se charge de cette opération peut transformer chaque tonne de déchets organiques en un kilowatt et elle peut traiter près de 300 000 tonnes. Ce qui est l'équivalent, selon la municipalité de Beyrouth, des ordures de la capitale. Il faudrait donc trois ou quatre usines pour le Liban, chacune coûtant près de 20 millions d'euros. De la sorte, la crise des déchets serait réglée d'une manière respectueuse de la nature et en même temps rentable, d'autant que la partie des ordures qui ne peut pas être transformée en énergie électrique peut être traitée pour devenir un engrais pour l'agriculture.

Fort de cette réussite, le diplomate a donc cherché à expliquer le projet à différents interlocuteurs libanais. Mais, selon lui, aucun d'eux n'a pris la peine de le lire ou de lui poser la moindre question. Les interlocuteurs libanais du diplomate européen, qui affirme avoir pratiquement parlé avec tout le monde, n'ont même pas fait semblant de s'intéresser à son projet, au point qu'il s'est demandé s'il existe une réelle volonté de régler ce problème. Il a même été encore plus loin, se disant que les responsables politiques pourraient peut-être se dire que tant que ce problème existe, ils n'ont pas à se pencher sur d'autres questions. Ils préfèrent donc chercher des solutions chacune plus improbable que l'autre et laisser le dossier pourrir. Pourrir est d'ailleurs bien le mot, puisque devant le bâtiment de son ambassade, les ordures se sont amoncelées au point de devenir une véritable colline avec son cortège de mouches, de moustiques et autres microbes. Croyant bien faire, l'ambassade a aussitôt contacté la municipalité pour que les ordures soient au moins déplacées. En vain. Même chose du côté des responsables. Même Sukleen a été contactée mais elle a répondu qu'elle ne concluait pas de contrats avec les particuliers, juste avec l'État. Finalement, l'ambassade en question a eu recours à une compagnie privée qu'elle paie par mois pour que les ordures ne s'entassent pas devant son entrée...

Cette petite histoire pourrait être burlesque, elle est en fait dramatique tant elle montre l'inconscience, bien plus que l'impuissance, de la classe politique actuelle qui ne remplit aucun de ses devoirs envers les citoyens, mais requiert leur soutien pour des positions dites de principe. En réalité, cette classe est devenue entièrement l'otage de ses propres slogans et manie la surenchère faute d'une stratégie constructive et concrète. Chaque camp emprisonne sa communauté tout en prétendant protéger ses droits et la défendre, mais aucun ne songe à trouver une solution aux ordures, à la crise économique, au chômage des jeunes, aux coupures de courant, à la pénurie d'eau, etc. Chacun se complaît dans l'accumulation des dossiers en suspens, croyant que ce pourrissement va discréditer l'autre... La politique de vexations réciproques et de polémiques verbales tient lieu de programme pour cacher la dépendance à l'égard de parties étrangères et l'incapacité de prendre la moindre décision sans obtenir au préalable un feu vert externe.
Lorsque des groupes de Libanais ont tenté de protester à travers le mouvement civil, ils ont été accusés d'être des agents américains par les uns et des félons à la solde du Hezbollah et de l'Iran par les autres. L'intimidation et la force n'ayant pas vraiment réussi à étouffer le mouvement, il a été noyauté par un grand nombre de groupes pour rendre difficile, si ce n'est impossible, tout accord sur un même plan d'action.

Chaque jour, une nouvelle polémique fait passer au second plan les précédentes revendications et un nouveau problème vient s'ajouter aux précédents sans qu'aucun ne soit réglé. D'ailleurs, aujourd'hui, dans leurs rencontres avec leurs interlocuteurs libanais, les diplomates occidentaux ne parlent plus de la présidence, ni même des ordures, mais de l'intervention russe en Syrie, des relations entre l'Arabie saoudite et l'Iran et d'autres questions régionales. Les manœuvres de la classe politique et les points marqués par un camp contre l'autre n'intéressent plus grand monde. Et pourtant, aucune alternative ne se profile à l'horizon.

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