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Moyen Orient et Monde - Reportage

Les Égyptiens perdent un morceau de leur héritage révolutionnaire

Une partie du mur de la rue Mohammad Mahmoud, célèbre pour ses graffitis à la gloire des martyrs du soulèvement de janvier 2011, a été abattue. Une attaque contre le patrimoine et un défi à la mémoire, estiment certains.

Au Caire, le mur de la rue Mohammad Mahmoud est devenu célèbre pour ses graffitis révolutionnaires. Mohammad al-Shahed/AFP

« Abattre le mur ou les graffitis n'effacera pas la mémoire (des événements de la rue) Mohammad Mahmoud, lâche Rahmy Abdallah. Comment, de toutes les façons, peut-on oublier ? »
C'est dans cette rue du Caire, en effet, que des affrontements meurtriers avaient eu lieu lors du soulèvement de 2011 qui a abouti à la chute de l'ex-président égyptien Hosni Moubarak. Au cours des mois qui ont suivi la révolution du 25-Janvier, les murs de cette rue, qui se sont couverts de slogans et de graffitis, ont servi d'exutoire à de nombreux artistes et militants, devenant un espace de mémoire à la gloire de la révolution.

La démarche est donc symbolique.
Il y a quelques jours, au petit matin, un petit groupe d'ouvriers a commencé à détruire un pan du mur attenant à l'Université américaine du Caire, sous les regards médusés, parfois amusés, souvent inintéressés de quelques passants. Officiellement, « la destruction du mur est liée à la rénovation de l'Université américaine, implantée sur la place Tahrir », affirme Khaled Moustapha, porte-parole du gouverneur du Caire. Répondant à ceux qui l'accusent de vouloir effacer les témoignages de la révolution de 2011, il assure que « ça n'a rien à voir avec le politique, ni les graffitis en particulier ».
Une information confirmée par l'établissement. « L'université a décidé que notre bâtiment des sciences, où se trouvaient nos laboratoires, était une surface en trop depuis l'ouverture de notre nouveau campus (à New Cairo). C'est un bâtiment impossible à utiliser pour d'autres activités, nous avons donc estimé que la meilleure chose à faire était de le supprimer pour bénéficier de plus d'espaces verts », explique Brian Mc Dougall, vice-président de l'administration de l'Université américaine du Caire. Mais ce que les autorités ont oublié de mentionner, c'est que le mur tout entier devrait progressivement être abattu. « Tout le mur va être retiré, explique-t-il, car on va s'assurer d'avoir une clôture qui respecte le nouvel esprit du campus, plus axé sur la culture. »

 

(Lire aussi : L'Égypte se dote d'un nouveau gouvernement)

 

Future exposition ?
Pour tenter de calmer le jeu, l'administration de l'université a annoncé avoir photographié et documenté les éléments artistiques du mur voués à la destruction dans le but d'en faire une exposition. « Moi, je propose que le gouvernement conserve cette partie du mur et l'expose, un peu comme les Allemands ont fait avec le mur de Berlin », lance Shania Bakri, reprenant une idée qui fleurit sur la toile depuis plusieurs jours. Car du côté de la jeunesse révolutionnaire et des artistes à l'origine des graffitis, la nouvelle passe mal. « En soi, qu'on détruise un mur pour le remplacer par une clôture n'est pas un problème. Mais en l'occurrence, c'en est un car il s'agit de l'une des dernières traces de la révolution, et c'est précieux aux yeux de beaucoup de gens », estime Mohammad Khaled, auteur de plusieurs graffitis.
Adhaf Soueif, écrivain populaire en Égypte, à l'origine de la préface du livre Walls of Freedom rendant hommage à la révolution artistique qu'a aussi connue l'Égypte, ne cache pas sa colère : « S'ils pouvaient faire disparaître la rue en entier, ils le feraient ! » « La rue compte. C'est où l'on a vécu, où l'on s'est rencontrés, où l'on s'est parlé, où nous sommes restés attachés à nos engagements, à nos idées, soudés entre nous. C'est dans la rue que nous avons été les plus forts, les plus vulnérables aussi ; c'est dans la rue que nombre d'entre nous ont été blessés, enlevés, frappés, certains tués (...) Et quand le street art de la révolution est apparu, il a renforcé cette certitude que nous étions des millions. Il a fait ce que seul l'art peut faire, dessiner nos ressentis, nos pensées et nos motivations, les articuler, les transmuter en les matérialisant. Ça nous a prouvé (...) que chacun faisait corps avec le collectif », dit-elle dans la préface de l'ouvrage, partiellement censuré depuis.

 

(Pour mémoire : La condamnation de journalistes en Egypte provoque un tollé international)


« Maintenant qu'ils ont démoli une partie de cette rue, on peut littéralement se balader sur Tahrir et s'imaginer que rien n'est jamais arrivé. Quel avantage pour les autorités ! » s'inquiète aussi une jeune Égyptienne. En novembre 2011, cette même rue bariolée, qui dénonce la mort de jeunes Égyptiens sur le front urbain, le pouvoir autocratique d'une armée brutale, mais aussi la répression des islamistes dans des fresques multicolores, avait été le théâtre d'affrontements violents entre manifestants et forces de l'ordre. Des affrontements qui avaient coûté la vie à une cinquantaine de personnes. « Je suis vraiment triste, commente Zenobia, activiste et blogueuse, pour le travail artistique, mais aussi pour son impact politique (...) Et en même temps, cette démolition ne changera pas l'histoire ou le fait que cette rue a vu le sang couler. »

 

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