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Économie - Textile

Le coton « Made in Daech » va-t-il s’introduire dans nos vêtements ?

Moayed, réfugié syrien de 9 ans, est allongé sur un tas de coton tandis que les autres Syriens travaillent dans un champ de coton au village turc de Bukulmez. Archives Reuters

Le groupe État islamique (EI) a mis la main sur la production syrienne de coton, inquiétant certains fabricants de vêtements, mais le risque de retrouver dans nos tee-shirts du coton « Made in Daech » acheminé par des voies tortueuses est très limité.

Outre le pétrole et le blé des plaines céréalières, les jihadistes ont pris le contrôle des « trois quarts de la production de coton », dont la Syrie était un exportateur relativement important avant la guerre, indique Jean-Charles Brisard, spécialiste du financement du terrorisme. Dans les plus grandes maisons de luxe de Paris, le sujet est d'actualité. Sous le couvert de l'anonymat, une source chargée des approvisionnements pour les collections haute couture d'une enseigne prestigieuse reconnaît se montrer particulièrement vigilante sur la provenance des tissus. « Notre fournisseur habituel nous a envoyé cet été des rouleaux de tissu sans le bordereau d'origine, nous avons demandé aux ateliers de ne pas y toucher en attendant d'avoir tous les certificats requis... Vous imaginez ! Se retrouver avec un coton fourni par Daech ! », ajoute-t-elle après une pause.

Car tout près des zones contrôlées par les djihadistes se trouve la Turquie, deuxième fournisseur de textiles de l'Union européenne, le troisième pour l'habillement (quatrième pour la France), selon des données compilées par l'Union des industries textiles (UIT). Aujourd'hui, l'inquiétude est que des grossistes turcs utilisent du coton vendu à bas prix par l'EI, avide de toute source de financement. La Turquie, importatrice nette de coton pour la fabrication de vêtements, compte parmi ses principaux fournisseurs « les États-Unis, la Grèce, l'Ouzbékistan, l'Égypte... et historiquement la Syrie », souligne Emmanuelle Butaud-Stubbs, déléguée générale de l'Union des industries textiles (UIT).

Les exportations de coton syrien vers la Turquie avaient grimpé dans les années 1990-2000, avant de refluer à partir de 2008. Selon des cotonniers syriens, l'EI envoyait jusqu'à très récemment en Turquie le coton non égrené (brut), cultivé dans les régions de Raqqa et de Deir ez-Zor, soit un tiers de la production syrienne. Mais ces derniers temps, la Turquie a officiellement refusé de recevoir ce coton, pour des raisons inconnues – peut-être des pressions américaines –, selon ces mêmes sources.
L'EI revend donc désormais le coton à des intermédiaires qui le transportent vers des centres d'égrenage, où est traité le coton brut, dans des régions tenues par le régime de Bachar el-Assad, car l'égrenage, tout comme l'exportation, est monopole d'État en Syrie. Ces centres d'égrenage se trouvent notamment à Hama et Homs.

« Proche de zéro »
À cause du conflit, « il est difficile d'avoir une image précise de ce qui se passe réellement sur le terrain. Si du coton syrien passe en Turquie, cela se fait probablement par des canaux non officiels », estime José Sette, directeur exécutif de l'ICAC, organisme représentant les pays producteurs et consommateurs de coton, auquel adhérait la Syrie jusqu'en 2013. Le conflit a provoqué l'effondrement de la production, passée de 600 000 tonnes/an à un volume compris entre 70 000 et 100 000 tonnes aujourd'hui, dont 3 000 tonnes sont officiellement exportées, selon les estimations de l'ICAC. « Même en supposant que toute la production syrienne (...) passe en Turquie, ce qui est hautement improbable, cela ne représenterait que 5 % du coton utilisé » par ce pays, souligne M. Sette. « Compte tenu de tous ces éléments (...), la proportion de produits finis cotonniers, importés par la France de Turquie et réalisés à partir de coton syrien issu de champs contrôlés par Daech est proche de zéro », estime Mme Butaud-Stubbs.
Le groupe de luxe et d'habillement sportif Kering (Gucci, Puma, Saint Laurent) se dit d'ailleurs serein : « Une grande majorité du coton acheté par (le groupe) vient de fournisseurs basés en Chine, au Bangladesh, en Italie ou aux États-Unis. Le risque posé à Kering est donc mineur, car la Turquie représente une part infime des achats de coton du groupe », explique le service de communication.

 

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