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Économie - Liban - Artisanat

Un cluster pour tenter de sauver les meubles à Tripoli

L'industrie libanaise du meuble est associée à la région de Mkallès, à ses ateliers et ses nombreuses galeries. Mais c'est Tripoli que l'Onudi a choisie pour abriter un cluster d'entreprises d'ameublement. Objectif : éviter aux artisans de la ville une mort annoncée.

« On a recensé 91 entreprises déclarées dans la ville et près d’une centaine non déclarées. Le secteur emploie au moins 2 000 personnes, mais beaucoup sont embauchées à la journée ou au mois », indique Soha Atallah, de l’Onudi. Photo Bigstock/Sergey Nivens

Ébéniste, menuisier, tapissier, sellier... À Tripoli, les métiers de l'ameublement se transmettaient, jusque-là, de père en fils. Aujourd'hui, « la majorité des artisans ont plus de 60 ans, la nouvelle génération ne veut pas s'engager dans un secteur en déclin. Si rien n'est fait, leur savoir-faire risque de disparaître », regrette Soha Atallah, coordinatrice de projet à l'Organisation des Nations unies pour le développement industriel (Onudi). Elle a dressé ce constat à l'issue d'une étude sur le secteur de l'ameublement à Tripoli menée dans le cadre d'un programme financé par l'Union européenne et l'agence de coopération italienne. Doté d'une enveloppe globale de 5,6 millions d'euros d'ici à 2017, il vise à créer des « cluster » d'industries culturelles et créatives dans sept pays du sud de la Méditerranée. Ce terme anglo-saxon, dont la traduction française est « grappe industrielle » ou « pôle de compétitivité », désigne la concentration sur un territoire géographique d'entreprises et d'institutions travaillant dans un domaine particulier.
L'accumulation des savoir-faire pouvant procurer un avantage compétitif une fois atteinte une masse critique.
L'année dernière, des groupements d'au moins 20 entreprises ont été appelés à présenter leur candidatures et deux projets de « cluster » ont été retenus : l'un pour la joaillerie à Bourj Hammoud et l'autre pour l'ameublement à Tripoli. L'industrie locale du meuble est pourtant davantage associée à la région de Mkalles qu'à Tripoli. Le Mont-Liban abrite en effet 59 % des producteurs libanais, avec 366 entreprises recensées, contre 23 % dans le Nord (dont 70 % concentrés à Tripoli).
Mais le choix s'est porté sur Tripoli en raison de la situation économique particulièrement difficile de la deuxième ville du pays, le projet s'inscrivant sous le thème de la réduction de la pauvreté. « L'objectif est de promouvoir le cluster comme un outil de développement », explique Soha Atallah. L'enjeu est donc de préserver les emplois dans une ville qui peine à en créer.

Une industrie encore très artisanale
Pour définir les orientations stratégiques de ce futur « cluster », il a d'abord fallu faire un état des lieux. Et la tâche n'a pas été facile. « On a recensé 91 entreprises déclarées dans la ville et près d'une centaine non déclarées, indique Soha Atallah. La plupart d'entre elles n'ont pas de système de comptabilité, pas d'ordinateurs, pas de registres des employés... Le secteur emploie au moins 2000 personnes, mais beaucoup sont embauchées à la journée ou au mois, en fonction du carnet de commandes. »
Le premier axe du projet consistera donc à fournir aux entreprises des formations en management des affaires. Ensuite, il faudra les aider à se repositionner pour trouver de nouveaux clients. « Le secteur souffre d'une très forte baisse de la demande depuis 2005 », souligne Soha Atallah en imputant cette situation à plusieurs facteurs : le recul du pouvoir d'achat des Libanais, la baisse des superficies des appartements, le ralentissement de la construction, et la baisse du nombre d'expatriés et de touristes, notamment du Golfe.
« La demande des ressortissants du CCG a baissé de 70 %. Ces derniers, qui appréciaient particulièrement le style tripolitain, se tournent de plus en plus vers des produits moins chers, venant de Chine ou de Malaisie. »

Une forte concurrence internationale
Structurellement, le secteur libanais de l'ameublement fait face à une concurrence mondiale de plus en plus rude, notamment des pays asiatiques qui tirent les prix vers le bas. La part de la Chine, à elle seule, dans la production mondiale est passée de 10 à 40 % entre 2006 et 2012.
Cette concurrence, les fabricants locaux la subissent tant sur le marché local qu'à l'international. Au Liban, les importations de meubles ont augmenté de 12,8 % entre 2011 et 2014, pour atteindre 165,6 millions de dollars, essentiellement de Chine, de Turquie et d'Italie. Ces derniers, qui sont considérés comme des produits haut de gamme, ont l'avantage d'être exonérés de droits de douanes, comme tous les meubles européens et arabes. Les autres sont taxés à 30 %, mais selon le ministère de l'Industrie les commerçants ont tendance à minorer la facture des importations pour payer moins de droits de douanes.
Quant aux exportations libanaises, elles stagnent depuis 2011, autour de 79 millions de dollars. « L'industrie libanaise, en raison de sa structure de coûts élevée, ne peut pas être compétitive au niveau des prix, reconnaît Soha Atallah.
Les artisans de Tripoli peuvent en revanche devenir des fournisseurs haut
de gamme. »

De l'ancien au moderne
Mais pour cela, ils ont besoin de développer une identité. L'Onudi compte solliciter des designers et des experts pour les aider à définir une ligne de nouveaux produits, plus adaptée à une clientèle européanisée. « Ils devront revoir leur façon de travailler, explique Soha Atallah. Les artisans tripolitains ont un savoir-faire certain. Ils sont capables de fabriquer des pièces très compliquées. Mais ils sont habitués à faire des meubles au style ancien qui nécessitent beaucoup de travail et qui ne trouvent plus preneurs aujourd'hui. On les encouragera à se tourner vers des meubles plus modernes, plus épurés. Il faudra aussi les convaincre de produire des pièces moins chères, mais en plus grande quantité. L'idée est de pouvoir produire des séries, d'où l'intérêt du "cluster". »
Parallèlement, l'Onudi leur ouvrira son carnet d'adresses. « Grâce à nos bons contacts avec la société française Habitat, nous avons obtenu que les artisans de Tripoli soient considérés comme des fournisseurs éventuels », souligne Soha Atallah. Mais la commande est loin d'être gagnée. « La suite de la négociation dépendra des prix et des spécifications qu'ils proposeront », ajoute-t-elle.
Des efforts sont également menés en partenariat avec l'Association des industriels pour les mettre en contact avec de grands designers locaux, comme Nada Debs, Karim Chaya ou Karen Cherkerdjian. Reste un défi de taille pour les fabricants de meubles à Tripoli que l'Onudi ne traitera pas : celui du financement, le programme ne prévoyant aucune aide sous forme de don ou de prêt.

 

Une moyenne de 12 salariés par entreprise

Pour avoir une idée de la taille de l'industrie libanaise de l'ameublement, l'Onudi a dû se contenter des comptes nationaux de 2011 qui l'estimaient à environ 641 millions de dollars. La dernière étude du ministère de l'Industrie remonte quant à elle à 2007. À l'époque, 650 fabricants de meubles ont été identifiés sur l'ensemble du territoire, avec une production estimée à 283 millions de dollars, et 7832 employés. Des disparités qui montrent la difficulté à évaluer le secteur. L'étude avait toutefois mis en lumière le caractère fragmenté et très artisanal de cette industrie, avec une moyenne de seulement 12 salariés par entreprise.

Ébéniste, menuisier, tapissier, sellier... À Tripoli, les métiers de l'ameublement se transmettaient, jusque-là, de père en fils. Aujourd'hui, « la majorité des artisans ont plus de 60 ans, la nouvelle génération ne veut pas s'engager dans un secteur en déclin. Si rien n'est fait, leur savoir-faire risque de disparaître », regrette Soha Atallah, coordinatrice de projet à...

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