Le paradoxe du dialogue entre le Hezbollah et le courant du Futur, émanant de la volonté affichée de rapprochement, d'une part, et l'occultation délibérée des dossiers litigieux, d'autre part, avait été maquillé dans un premier temps par l'impératif d'assainir les rapports entre les deux parties et de calmer la rue. Au rythme des polémiques publiques, de plus en plus prolongées entre les deux partis – la dernière en date, déclenchée par les accusations du secrétaire général du Hezbollah contre l'Arabie saoudite, se poursuit – le dilemme lié à ce dialogue porte désormais sur sa capacité à assumer sa fonction d'aspirateur des litiges, alors que le débat, en dehors des murs de Aïn el-Tiné, s'aggrave et se tend.
Le risque d'un débordement de ce récipient qu'est le dialogue paraît croître, depuis la déclaration d'appui à l'Arabie saoudite, faite par le ministre de l'Intérieur, Nouhad Machnouk, l'un des trois représentants du courant du Futur au dialogue. Lors d'un dîner organisé en son honneur mardi soir par la Fédération des associations des familles beyrouthines, et après avoir pris part à la dixième réunion de dialogue, le ministre a fait une véritable apologie de l'Arabie saoudite, et de l'Égypte corollairement, sous l'angle de l'allégeance à l'arabité. « Beyrouth, ainsi que Riyad, Le Caire, Amman, Abou Dhabi, Doha, Amman, Koweït City, Casablanca, Manama, Khartoum et beaucoup d'autres vivent l'époque du renouveau arabe, couronné par le royaume de Salmane ben Abdel Aziz, et orné par l'Égypte (...). Il n'y a pas de renaissance arabe sans l'Égypte et sans l'Arabie, sans lesquelles l'équilibre régional ne peut être rétabli. Ces deux pays sont les plus concernés, et les seuls capables de mettre un terme à la tempête de l'illusion iranienne, par leur tempête de la fermeté. »
Le ministre du Futur a ainsi pointé du doigt, à plusieurs reprises, et nommément, la politique iranienne dans la région, tout en attaquant, mais sans le nommer, le secrétaire général du Hezbollah. Il a en revanche salué, à la fin de son discours, le président de la Chambre, Nabih Berry.
« Nous avons entendu, il y a quelques jours, des propos promettant d'infliger à l'Arabie une défaite cuisante et de lui faire mordre la poussière. Depuis Beyrouth, cette capitale qui a souffert de l'auteur de ses propos et de son école, autant qu'elle a souffert d'Israël (...), je dis que ceux qui mordront la poussière sont ceux qui manient la culture de l'agression, de l'élimination, de la falsification des volontés et de l'atteinte aux légitimités (...). Je dis en toute conscience tranquille que la tempête de la fermeté, menée par l'Arabie saoudite, libérera toute la région arabe des germes de l'emprise iranienne sur la dignité et le choix de ses peuples », a-t-il déclaré. Il a ensuite réfuté clairement la dialectique de Téhéran, fondée sur « l'illusion selon laquelle l'extrémisme chiite est l'antidote de l'extrémisme sunnite ».
Tout en mettant l'accent sur « l'appel de l'Arabie à favoriser des atmosphères naturelles de dialogue et de solutions politiques » – auquel fait écho l'insistance du Futur, particulièrement marquée hier, à maintenir le dialogue – il a déclaré « notre refus catégorique de porter atteinte au royaume de la fermeté et de l'arabité ». L'argument principal qu'il avance, dans la suite de la rhétorique du Futur, est celui de « l'impossibilité de mettre sur un pied d'égalité nos frères arabes et leur soutien au Liban d'une part, et l'Iran et la Syrie de Bachar (el-Assad), d'autre part. Aucune égalité n'est envisageable entre ceux qui mènent des politiques sécuritaires et militaires visant à saboter l'identité libanaise fédératrice, à détruire l'État et à troubler son système, et ceux qui ne veulent au Liban que le bien de l'État, de son armée et de ses forces militaires, en acte et en parole ».
En réponse à ce discours, le Hezbollah a publié un communiqué pour dénoncer « une campagne menée par les cadres du Futur contre l'Iran, sur la base de fausses allégations, qui n'ont pour objectif que de servir des agendas arabes et étrangers ». Les milieux du 14 Mars avaient interprété, pour leur part, les accusations de Hassan Nasrallah comme s'insérant dans la campagne menée contre l'Arabie.
La situation se résume-t-elle vraiment en un heurt entre deux campagnes, menées respectivement contre l'Arabie et l'Iran ?
Pour les milieux du 14 Mars, l'on ne peut évoquer deux politiques régionales en confrontation, le schéma global étant celui d'une arabité « qui s'éveille pour occuper sa place normale » (pour reprendre la déclaration du ministre Achraf Rifi, hier). Et dans ce schéma, le Hezbollah n'est ni un ennemi égal ni même un élément dissident, il est « simplement isolé », toujours selon ces milieux.
« On nous accuse d'être inféodés à l'Arabie, alors que nous défendons le Liban. Imaginez une seconde que le discours officiel du Liban se résume au discours de Hassan Nasrallah... Le Liban serait ostracisé par les Arabes, économiquement et politiquement », selon une source du Futur. L'accent est mis sur la symbolique de l'arabité : l'adhésion à cette arabité d'autant plus légitime pour les Libanais que leur vivre-ensemble constituerait un modèle d'avenir pour la région, dépasserait les accusations réductrices d'allégeance à une puissance extérieure.
Il reste que, selon la source du Futur, « la question du Yémen et la polémique liée à l'Arabie saoudite a été jugée, lors de la réunion de dialogue de mardi, comme un point litigieux, à écarter du débat, à l'instar des trois points de conflit qu'il avait été convenu, au départ, d'écarter, à savoir la présence du Hezbollah en Syrie, l'abstention du parti de livrer les quatre accusés au Tribunal spécial pour le Liban et l'alimentation en armes, par le parti chiite, des Brigades de la résistance ». Selon la source, c'est « le Hezbollah qui a ainsi ajouté un quatrième point de litige » à écarter du débat.
Dans une interview hier au quotidien as-Safir, l'ambassadeur d'Arabie a clairement signifié hier que « le Yémen n'était pas l'affaire du Hezbollah », mais n'a pas manqué de valoriser le dialogue, et surtout « l'unité des rangs libanais ».
Pourtant, « si les trois sujets litigieux étaient insérés au dialogue, et précisément le point relatif au TSL, aucune raison n'aurait pu justifier que cette nouvelle affaire du Yémen ne constitue une casus belli », selon la source du 14 Mars. C'est dire la portée qu'aurait pu avoir un dialogue sur le fond sur l'immunité, voire la sanctuarisation du Liban...
En attendant, le dialogue se poursuit donc... alimenté d'extrême pragmatisme... et de beaucoup de virtù florentine.
Pour mémoire
En dépit des discours incendiaires, priorité à la stabilité, le décryptage de Scarlett HADDAD
commentaires (3)
En Chine, au Xinjiang précisément, les musulmans ne sont pas très heureux de vivre aux côtés de Chinois non-musulmans. Le Hezbollah est-il prêt d'aller là-bas pour les réconforter ?
Un Libanais
16 h 08, le 16 avril 2015