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Moyen Orient et Monde - Reportage

Zaatari, camp de réfugiés syriens devenu ville

Situé à moins de 20 km de la frontière syrienne, le camp de réfugiés de Zaatari, en Jordanie, s'est développé depuis son ouverture en juillet 2012. Aujourd'hui, le camp est devenu une ville, avec ses différents quartiers, son économie et sa propre administration.

Pour s’éclairer chez eux, les réfugiés détournent l’éclairage public.

À l'angle d'un carrefour donnant sur l'avenue des Champs-Élysées, une famille syrienne entre dans un grand bâtiment blanc. À l'intérieur, une quinzaine de lampes accrochées au plafond bas illuminent les étalages bien remplis d'un supermarché où se pressent les habitants du quartier.
Une scène ordinaire, si ce n'est pour les bons alimentaires qui s'échangent au moment de régler les achats. Le magasin ne se situe par sur la célèbre avenue parisienne, mais dans le deuxième plus grand camp de réfugiés au monde. Ouvert au milieu du désert jordanien pour accueillir le flot incessant de réfugiés syriens fuyant la guerre, ce camp a pris le nom du village le plus proche : Zaatari.

En près de trois ans, les pierres et la poussière ont laissé place à une société improvisée qui s'est transformée grâce à ses habitants et leur furieuse envie de vivre dignement. Dans cette nouvelle ville qui accueille plus de 80 000 Syriens, des centaines de commerces et des écoles ont ouvert, des rues et des quartiers se sont dessinés et des structures administratives tenues par des réfugiés sont en train d'être mises en place.
« Cela fait quatre ans que c'est la guerre chez nous, vous vous attendiez à ce qu'on reste sans rien faire ? » demande le propriétaire du supermarché. « Le peuple syrien n'est pas bête, si tu le mets dans un désert, il le fait revivre », dit-il avec fierté.

Une partie des réfugiés vit encore misérablement dans des tentes et tous espèrent rentrer en Syrie, mais Zaatari se développe un peu plus chaque jour. « Cela ressemble à un bidonville dans le sens que ce sont les gens qui ont complètement organisé leur habitat eux-mêmes », estime Kilian Kleinschmidt qui fut l'administrateur du camp auprès du HCR, l'agence des Nations Unies pour les réfugiés.
En sa qualité de « maire » de Zaatari – comme il aime se faire appeler –, il a été le témoin privilégié de l'urbanisation du camp. « Un secteur qui s'est rapidement développé, c'est celui du vol d'électricité. Pour plus de sécurité, on a installé un éclairage public. Mais évidemment, il suffit d'y accrocher deux fils pour se connecter, explique ce quinquagénaire allemand au visage rubicond. Des électriciens se sont organisés en entreprise parallèle, et, aujourd'hui, 90 % de l'habitat est connecté au réseau. Facture d'électricité mensuelle : 750 000 $. »

Les réfugiés ont redessiné le camp en l'organisant à leur manière, notamment en déplaçant les préfabriqués qui leur servent d'habitations. Deux roues attachées à des poteaux électriques, il n'en faut pas plus pour acheminer à travers le camp ces préfabriqués offerts par des pays du Golfe. La demande pour ce genre de service est telle que des équipes de réfugiés travaillent à plein temps pour satisfaire les familles désireuses de se regrouper entre elles.
« Ils cherchent à recréer une vie fondée sur le principe de communauté, comme c'était le cas pour eux en Syrie, explique Jonathan Campbell, coordinateur du World Food Program pour les réfugiés syriens en Jordanie. En fait, comme la plupart des gens viennent de Deraa, ils se connaissent déjà assez bien entre eux. »

(Lire aussi : Michel Agier : On constate avec la crise syrienne une relance des camps qui s'installent dans la durée)

 

Un embryon de démocratie
Dans cette société qui s'est développée sur le principe de vie en communautés, certain réfugiés ont profité de l'absence de relais entre les Syriens et les hautes instances du camp pour établir un système administratif composé de chefs de rue et, au-dessus d'eux, de chefs de district.

Abu Abdallah, reconnaissable entre mille à sa casquette ornée du drapeau de la révolution syrienne, est l'un de ces responsables. Sa mission est de superviser certains aspects de la vie quotidienne, comme les querelles de voisinage ou les problèmes liés aux distributions. « Le travail que nous faisons, c'est principalement de la communication, explique-t-il. Lorsqu'il y a des soucis avec les organisations, nous prévenons les gens. »
Ce boulanger de 41 ans au visage émincé affirme avoir été élu par 40 familles pour devenir le représentant de sa rue et, par la même occasion, prendre la place du chef précédent qui « a profité de sa situation pour se servir davantage lors des distributions », dit-il.

Sur l'avenue des Champs-Élysées, longue de plus d'un kilomètre, la petite boulangerie bleue et blanche d'Abou Abdallah côtoie des magasins de vêtements, de bijoux et de parfums.
Le four est encore chaud mais tous les pains ont été vendus. Abou Abdallah doit partir et confie son commerce à son neveu car son supérieur l'attend. Les deux hommes se serrent longuement la main avant de se diriger vers l'habitation où aura lieu une réunion entre chefs de rue et de district.

Les vagues successives de Syriens arrivant à Zaatari ont forcé le HCR à repousser toujours plus loin les frontières du camp. Par souci d'organisation, Zaatari a alors été divisé en 12 districts. Les chefs de ces districts sont, d'après Abou Abdallah, choisis directement parmi les chefs de rue. Une organisation pyramidale dont il manque encore le sommet. « Nous souhaitons au-dessus de nous un maire qui soit un réfugié », affirme Mahmoud, chef du district 2.

Le HCR, officiellement une agence qui assiste les pays accueillant de nombreux réfugiés, joue à Zaatari un rôle à mi-chemin entre le soutien humanitaire et la gouvernance politique. Face à la montée d'une organisation aux allures de système administratif, M. Kleinschmidt est méfiant. Il voit ces réfugiés comme de « petits chefs autoproclamés » auxquels le HCR n'accorde pas sa confiance.


(Lire aussi : Toute une génération de Syriens dévastée par la guerre...)


« Personne ne pensait que ce serait possible »
Le salon spacieux qui leur sert de salle de réunion est éclairé par un réverbère accroché au plafond. Une dizaine de chefs sont présents, venus discuter des affaires du jour en buvant le thé.
« Personne ne pensait que ce serait possible qu'il existe quelque chose comme les chefs de rue, ou même tout simplement une rue, dans le camp Zaatari, explique Mahmoud. Moi, j'ai 22 rues dans le district 2. On fait des réunions, et s'il y a une décision importante à prendre, nous la prenons à la majorité. (...) Pour l'organisation, c'est mieux qu'une personne parle au nom de 10 et que 10 parlent au nom de 100 ! »

Les représentants du HCR à Zaatari, conscients de la nécessité de donner aux réfugiés la possibilité de prendre part à l'organisation de la société dans laquelle ils vivent, tentent une nouvelle approche dans le camp. Sous l'impulsion de M. Kleinschmidt, l'ancien administrateur, l'agence souhaite établir un système semblable à celui des chefs de rue et de district, mais sous son autorité. Des conseils d'administration locaux par district s'occuperaient des besoins des Syriens.
« Le camp a été divisé en douze zones et dans chacune d'entre elles, le HCR est en train d'instaurer des municipalités avec un conseil, explique Jonathan Campbell, du World Food Program. Le "maire" de Zaatari resterait un représentant des autorités jordaniennes, mais ses conseillés seraient des réfugiés ».


(Lire aussi : À l'ombre des caméras, la torture dans les geôles du régime)

 

Un camp qui va perdurer
Personne ne sait pendant combien de temps encore le régime syrien, les rebelles et les groupes jihadistes à l'influence croissante continueront à s'affronter. La guerre, qui a déjà fait quatre millions de réfugiés, force les populations exilées à s'établir durablement.
« Je suis persuadé que si nous continuons à investir correctement dans les infrastructures (...) le camp va perdurer, estime Kilian Kleinschmidt. On espère bien sûr tous que les réfugiés pourront rentrer un jour, mais ça restera toujours une ville quelconque. Je pense que Zaatari va continuer à s'agrandir et se connecter au village situé juste à côté. »

La création de Zaatari était un choix de son hôte, la Jordanie, et son ouverture vers les villages voisins relève également de son autorité. Pour l'instant, le royaume hachémite n'autorise pas la libre circulation des Syriens en dehors du camp, coupé du reste du monde par des tranchés et des véhicules militaires stationnés à sa bordure.

 

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commentaires (3)

On leur en laissera plein de terres arides et inutiles comme ça aux adeptes du wahabismesalafiste !

FRIK-A-FRAK

14 h 07, le 14 mars 2015

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Commentaires (3)

  • On leur en laissera plein de terres arides et inutiles comme ça aux adeptes du wahabismesalafiste !

    FRIK-A-FRAK

    14 h 07, le 14 mars 2015

  • Occupation ou ilot de pays ?Triste .

    Sabbagha Antoine

    10 h 35, le 14 mars 2015

  • C'EST UNE FORME D'ENVAHISSEMENT... CAR, QUI SAIT QUI EST QUI ?

    LA LIBRE EXPRESSION

    08 h 21, le 14 mars 2015

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