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Économie - Par Joseph E. Stiglitz

Un conte moral grec

Quand la crise de l'euro a commencé il y a environ cinq ans, les économistes keynésiens ont prévu que l'austérité imposée à la Grèce et aux autres pays en crise allait échouer. Elle devait étouffer la croissance et faire augmenter le chômage et même échouer à réduire le rapport dette-PIB. D'autres (à la Commission européenne, à la Banque centrale européenne et dans quelques universités) ont parlé de contractions expansionnistes. Mais même le Fonds monétaire international a soutenu que les contractions, notamment les coupes dans les dépenses publiques, étaient précisément cela : des contractions.
Nous n'avions pas besoin vraiment d'une nouvelle confirmation. L'austérité avait déjà échoué à plusieurs reprises, depuis son utilisation précoce sous la présidence de Herbert Hoover aux États-Unis, qui a transformé le krach boursier en crise de 1929, jusqu'aux « programmes » du FMI imposés à l'Asie et à l'Amérique latine au cours des dernières décennies. Et pourtant quand la Grèce eut des ennuis, on y a eu recours une nouvelle fois.
La Grèce a largement réussi à suivre le précepte imposé par la « troïka » (la Commission européenne, la BCE et le FMI) : elle a converti un déficit primaire en un excédent primaire. Mais la contraction des dépenses publiques a été aussi dévastatrice que prévisible : 25 % de chômage, une baisse de 22 % du PIB depuis 2009 et une augmentation de 35 % du rapport dette-PIB. Et maintenant, avec l'écrasante victoire aux élections du parti anti-austérité Syriza, les électeurs grecs ont déclaré qu'ils en avaient assez.
Que faut-il donc faire ? Tout d'abord, soyons clairs : nous pourrions adresser des reproches à la Grèce pour ses problèmes si elle était le seul pays où le remède de la troïka a lamentablement échoué. Mais l'Espagne avait un excédent et un faible taux d'endettement avant la crise, et elle aussi connaît la dépression. Ce qui est nécessaire n'est pas tant une réforme structurelle en Grèce et en Espagne qu'une réforme structurelle de la conception de la zone euro et une refonte fondamentale des cadres politiques qui ont abouti à une mauvaise performance spectaculaire de l'union monétaire.
La Grèce nous a également rappelé une fois de plus à quel point le monde a besoin d'un cadre de restructuration de la dette. Une dette excessive a causé non seulement la crise de 2008, mais aussi la crise en Extrême-Orient dans les années 1990 et la crise latino-américaine dans les années 1980. Elle continue de causer des souffrances indicibles aux États-Unis, où des millions de propriétaires ont perdu leurs maisons. Et elle menace à présent des millions d'autres personnes en Pologne et ailleurs, qui ont contracté des prêts en francs suisses.
Compte tenu de l'ampleur de la détresse provoquée par un endettement excessif, on peut se demander pourquoi les individus et les pays se sont à plusieurs reprises mis dans une telle situation. Après tout, ces dettes sont des contrats (autrement dit des accords volontaires), donc les créanciers en sont tout aussi responsables que leurs débiteurs. En fait, les créanciers en sont sans doute davantage responsables : en général, ils sont des institutions financières sophistiquées, alors que les emprunteurs sont souvent beaucoup moins sensibles aux aléas du marché et aux risques associés à différents arrangements contractuels. En effet, nous savons que les banques américaines ont capturé leurs emprunteurs comme autant de proies, en profitant de leur manque de connaissances en matière financière.
Chaque pays (avancé) a réalisé qu'il fallait donner un nouveau départ aux individus pour faire fonctionner le capitalisme. Les peines de prison pour dette au XIXe siècle ont été un échec : elles étaient inhumaines et n'aidaient pas exactement à assurer le remboursement. Une aide véritable a consisté à fournir de meilleures incitations pour de bons prêts, en rendant les créanciers plus responsables des conséquences de leurs décisions.
Au niveau international, nous n'avons pas encore créé un processus clair pour donner un nouveau départ aux pays. Bien avant la crise de 2008, les Nations unies, avec le soutien de la quasi-totalité des pays en développement et émergents, ont cherché à créer un tel cadre. Mais les États-Unis s'y sont farouchement opposés. Peut-être souhaitent-ils rétablir les peines de prison pour dette pour les fonctionnaires des pays surendettés (dans l'affirmative, il reste de la place à Guantánamo Bay).
L'idée de réactiver les peines de prison pour débiteurs peut sembler exagérée, mais elle trouve un écho dans les discours actuels sur le risque moral et la responsabilité. Il est à craindre que si la Grèce est autorisée à restructurer sa dette, elle risque à nouveau de s'attirer des ennuis, ainsi que les autres.
C'est complètement absurde. Une personne douée du moindre bons sens peut-elle raisonnablement penser que n'importe quel pays se soumettrait volontiers à ce que la Grèce a traversé, dans le seul but de ne pas payer ses créanciers ? S'il existe un risque moral, il se trouve du côté des prêteurs (en particulier dans le secteur privé), qui ont été renfloués à plusieurs reprises. Si l'Europe a permis à ces dettes de se déplacer du secteur privé vers le secteur public (un schéma bien établi au cours du dernier demi-siècle), c'est l'Europe et non la Grèce qui doit en supporter les conséquences. En effet, le sort actuel de la Grèce, y compris l'accumulation du taux d'endettement, est en grande partie la faute des mauvais programmes que la troïka lui a infligés.
Ce n'est donc pas la restructuration de la dette, mais son absence, qui est « immorale ». Il n'y a rien de particulièrement spécial dans les dilemmes auxquels la Grèce est confrontée aujourd'hui : de nombreux pays se sont trouvés dans la même position. Ce qui rend les problèmes de la Grèce plus difficiles à traiter, c'est la structure de la zone euro : l'union monétaire implique que les États membres ne peuvent pas dévaluer pour se sortir d'embarras, mais le minimum de solidarité européenne qui doit accompagner cette perte de souplesse politique n'est tout simplement pas au rendez-vous.
Il y a soixante-dix ans, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Alliés ont reconnu que l'Allemagne avait besoin de prendre un nouveau départ. Ils ont compris que la montée d'Hitler avait beaucoup à voir avec le chômage (pas avec l'inflation) qui a découlé du fait d'avoir imposé plus de dettes à l'Allemagne à la fin de la Première Guerre mondiale. Les Alliés n'ont pas tenu compte de la folie avec laquelle les dettes avaient été accumulées. Ils n'ont pas parlé non plus des coûts que l'Allemagne avait imposés aux autres. Au lieu de cela, ils ont non seulement pardonné les dettes, mais ils ont surtout fourni de l'aide et les troupes alliées stationnées en Allemagne ont fourni une nouvelle relance budgétaire.
Lorsque les entreprises font faillite, une conversion des dettes en actifs est une solution équitable et efficace. L'approche analogue pour la Grèce consiste à convertir ses obligations actuelles en obligations indexées sur le PIB. Si la Grèce fait de bons résultats, ses créanciers recevront plus d'argent. Dans le cas inverse, ils en recevront moins. Les deux parties prenantes auraient alors une puissante incitation à poursuivre des politiques favorables à la croissance.
Il est rare que des élections démocratiques donnent un message aussi clair que celui de la Grèce. Si l'Europe répond non à la demande de changement de cap des électeurs grecs, cela revient alors à dire que la démocratie n'a pas d'importance, du moins quand il s'agit d'économie. Pourquoi ne pas tout simplement suspendre la démocratie, comme l'a fait avec profit Terre-Neuve à son entrée en redressement judiciaire avant la Seconde Guerre mondiale ?
Espérons que prévaudra l'avis de ceux qui comprennent l'économie de la dette et de l'austérité, qui croient en la démocratie et en les valeurs humaines. Il reste à savoir si cet avis prévaudra effectivement.

© Project Syndicate, 2015.

Joseph E. Stiglitz, prix Nobel en sciences économiques, est professeur à l'Université Columbia. Son plus récent ouvrage, coécrit avec Bruce Greenwald, est « Creating a Learning Society : A New Approach to Growth, Development, and Social Progres ».

Quand la crise de l'euro a commencé il y a environ cinq ans, les économistes keynésiens ont prévu que l'austérité imposée à la Grèce et aux autres pays en crise allait échouer. Elle devait étouffer la croissance et faire augmenter le chômage et même échouer à réduire le rapport dette-PIB. D'autres (à la Commission européenne, à la Banque centrale européenne et dans quelques...

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