Cette semaine, j'ai découvert un mot. Blog. Je crois bien l'avoir entendu par le passé, mais il y a tant de néologismes ces dernières années, qu'inconsciemment, je pense avoir décidé de les ignorer. À partir d'un certain âge, on n'a pas le choix, il faut être sélectif. Donc je ne l'ai pas enregistré ce mot, laid de sucroît. Blog.
Jusqu'à hier matin. Quand ma fille a débarqué au petit déjeuner, l'œil rivé sur son téléphone portable, maugréant contre l'arriération qui sévit dans le monde. Depuis l'histoire de Charlie Hebdo, elle n'a pas le moral, je le vois bien. Elle chipote au petit déjeuner, elle traîne, alors que généralement elle avale son bol de chocopops en moins de temps qu'il faut pour le dire. Ce qui m'inquiète le plus, c'est qu'elle ne se met même pas en colère. Elle a juste l'air extrêmement lasse. Une lassitude comme un prisme qui lui fait voir tout en noir, ou que le noir.
Hier matin, elle est tombée sur vous.
« Que se passe-t-il ma chérie? » lui ai-je demandé en lui préparant un deuxième expresso dans une tentative de lui redonner un peu d'élan avant de se lancer dans la jungle de Beyrouth. Vaine tentative. Elle m'a regardé un instant, comme si elle hésitait, puis elle m'a tendu son téléphone. Elle a appuyé sur un bouton et une vidéo s'est mise à tourner. Je n'ai rien compris. Des images floues, des gens, des épaules, une image qui tremble, qui tombe. Rien compris.
Elle a repris le téléphone et m'a gratifiée d'une explication de texte. Vous Raef Badaoui, condamné à dix ans de prison et 1 000 coups de fouet en Arabie saoudite pour « insulte à l'islam ».
Elle a relancé la vidéo. Et entre deux gros plans étranges, entre deux épaules en dechdeché, entre deux keffiés, j'ai vu votre dos, un policier en kaki, et une sorte de badine. On vous frappait, on vous fouettait en public.
Je n'ai pas demandé à ma fille ce que vous aviez fait. Elle me l'a dit quand même. C'est son côté avocat, oui, elle est avocate ma fille. Sur votre blog, vous auriez critiqué la police et des édits religieux. Puis elle s'est lancée dans une plaidoirie contre l'arriération générale, les extrémistes de tout crin, le monde qui fout le camp, tout ça.
Moi je n'ai rien dit, je ne vois plus quoi dire, vraiment. Puis elle m'a montré une autre photo de vous. Un portrait, en gros plan. Vos cheveux noirs, vos yeux clairs, votre regard franc, votre sourire. Vous êtes beau comme un cœur, M. Badaoui.
Je voulais simplement vous dire que je regrette d'avoir vu cette vidéo, cette dégradation. J'ai décidé d'être sélective. Je vais oublier ces images, pour n'en garder qu'une. Votre sourire.
Bien à vous,
Jacqueline A.
La précédente lettre de Jacqueline A.
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