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Moyen Orient et Monde - Le triumvirat chiite irakien : portraits croisés

Le bon, la brute et le truand ?

Ali al-Sistani (au centre), Moqtada al-Sadr (à gaucheà et Nouri al-Maliki (à droite).

Ils sont tous les trois irakiens et tous les trois de confession chiite. Ils sont tous les trois capables de soulever des foules. Ils jouissent tous les trois d'un culte aveugle aux yeux de leurs partisans. Ils ont tous les trois appelé à combattre les jihadistes de l'État islamique. Ils ont tous les trois des liens avec l'Iran. Malgré toutes ces ressemblances, malgré le matraquage médiatique qui présente les communautés irakiennes comme des blocs monolithiques, ils représentent à eux trois toute l'hétérogénéité du monde chiite irakien. Ils sont le politique, le religieux et le milicien. Ils s'appellent Nouri al-Maliki, Ali al-Sistani et Moqtada al-Sadr. Effectuer un portrait croisé de ces trois personnages devrait permettre de mieux appréhender les subtilités de cette communauté, majoritaire en Irak, hypermarginalisée du temps de Saddam Hussein et qui a pris le pouvoir depuis l'invasion américaine en 2003.


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Maliki, le Saddam chiite


Nouri al-Maliki est l'un des seuls hommes politiques au monde à pouvoir se vanter d'avoir mis, à deux reprises, l'Iran et les États-Unis d'accord. La première fois, c'était au moment de son investiture en tant que Premier ministre en 2006. La seconde, brûlante d'actualité, concernait la demande de son remplacement par Haïdar al-Baladi. Délaissé et trahi par ses deux alliés d'autrefois dans le moment le plus difficile de sa carrière politique, où il doit faire face à l'avancée des troupes de l'EI, aux desseins d'indépendance des Kurdes et à la haine des sunnites, le désormais ex-Premier ministre s'est accroché désespérément, seul contre tous, à son pouvoir. Né à Abou Gharaq en 1950, Nouri Kamal al-Maliki a ensuite étudié la littérature arabe à Bagdad. À la fin des années 1960, il entre au parti Dawa. Toutefois, à la suite de la révolution iranienne, le régime irakien réprime les partis politiques chiites et contraint nombre de leurs cadres à l'exil. C'est le cas de Maliki qui ne revient en Irak qu'en 2003, après l'invasion américaine, où il joue un rôle majeur dans le processus général de débaassification suite à l'éviction de Saddam Hussein.
Maliki occupe alors les premières loges du monde politique irakien. Élu député en 2005, investi Premier ministre en 2006, Nouri-al Maliki va régner sur l'Irak, d'une main de fer, pendant 8 ans. Mais Maliki ne peut échapper à sa propre histoire et à celle de son pays. C'est l'effet boomerang des années de pouvoir de Saddam Hussein. Il incarne personnellement la revanche des chiites, leur mainmise sur le pouvoir et l'oppression contre les sunnites. En 2014, sa politique est tellement contestée qu'il est surnommé le « Saddam Hussein chiite ». Incontestablement, Maliki symbolise, indépendamment de sa volonté, l'échec de la reconstruction irakienne, l'exacerbation des tensions communautaires et la faillite de l'État.

 

Sistani, le marjaa’ quiétiste

 

 

Ces dernières semaines, Ali al-Sistani, 83 ans et plus haute autorité religieuse chiite en Irak, s'est fait connaître du monde entier à la suite de ses appels répétés trois vendredis de suite à prendre les armes et à combattre les jihadistes de l'EI. À la suite de ceux-ci, des dizaines de milliers d'Irakiens les ont prises, ces armes, et se sont engagés aux côtés de l'armée. Si Ali al-Sistani a pris la décision d'intervenir dans le jeu politique, jusqu'à souhaiter le remplacement de Nouri al-Maliki, c'est sans aucun doute parce que la situation l'imposait. En effet, au contraire de la doctrine iranienne du wilayet el-faqih qui octroie aux ulémas une place considérable dans le champ politique, Sistani prône une vision plus quiétiste qui encourage à l'éloignement du monde politique.
Le premier marjaa' (source, référence) s'inscrivait jusqu'alors dans la parfaite continuité des ulémas de Najaf.
La sortie de son silence interroge les observateurs sur son rôle futur. Sistani veut-il désormais participer au jeu politique ?
Peut-il représenter un contre-courant à l'hégémonie iranienne, avec qui il entretient des relations assez distantes ? Ces questions demeurent pour l'instant sans réponse, mais les récents évènements ont démontré le poids de son autorité auprès de la population chiite irakienne.

 

Sadr, le milicien populiste

 

Est-il possible d'être à la fois un fervent défenseur du nationalisme irakien et le chef d'une milice chiite proférant des actes criminels contre les actes sunnites ? Est-il possible d'être adoré par les sunnites pour son combat contre l'occupation américaine puis détesté par cette même communauté au moment des conflits intercommunautaires ? Est-il possible d'utiliser son propre nom pour renommer un quartier après la chute officielle de Bagdad ? À tous ces questionnements qui évoquent une situation des plus paradoxales, la réponse est oui. Et Moqtada al-Sadr en est la preuve bien vivante. Fils de l'ancien ayatollah chiite irakien Mohammad Sadeq al-Sadr, ce qui explique en partie son inimitié avec Sistani, Sadr est le chef d'un mouvement nationaliste à forte connotation islamiste qui prend le nom de « sadrisme ». À la tête de l'armée du Mahdi dont le principal bastion se situe à Sadr City, il est le premier à dénoncer l'occupation américaine, à contre-courant de la politique proto-chiite des autres partis de sa communauté. Sa milice affronte par deux fois les troupes américaines, une première fois en 2004 et une seconde en 2008. Entre-temps, elle participe à des combats communautaires contre les sunnites. Depuis le début de l'opération de l'EI, Moqtada al-Sadr semble vouloir mener un double jeu. En effet, celui qui avait demandé à ses députés de voter en faveur de Maliki différencie très subtilement l'intervention des pasdarans iraniens sur le territoire irakien et celle des pays occidentaux. Même en temps de crise, la première lui apparaît totalement légitime alors que la seconde semble être pour lui inadmissible. Il serait certainement trop réducteur de présenter Moqtada al-Sadr comme le bras armé de l'Iran, mais de toute évidence, l'affaiblissement du parti Dawa de Maliki devrait lui permettre d'occuper un rôle majeur dans les mois à venir.


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Ils sont tous les trois irakiens et tous les trois de confession chiite. Ils sont tous les trois capables de soulever des foules. Ils jouissent tous les trois d'un culte aveugle aux yeux de leurs partisans. Ils ont tous les trois appelé à combattre les jihadistes de l'État islamique. Ils ont tous les trois des liens avec l'Iran. Malgré toutes ces ressemblances, malgré le matraquage...

commentaires (2)

APRÈS CHARYBDE... CE FUT SCYLLA...

LA LIBRE EXPRESSION

19 h 53, le 16 août 2014

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Commentaires (2)

  • APRÈS CHARYBDE... CE FUT SCYLLA...

    LA LIBRE EXPRESSION

    19 h 53, le 16 août 2014

  • MALIKI responsable de la desintegration de l IRAK ,de la discorde entre chiites et sunnites,est lache par TEHERAN et WASHINGTON et remplace par un autre chiite. Pourquoi n a t on pas le meme scenario en SYRIE? Pourquoi ASSAD n est il pas lache et remplace par un autre alaouite dont les mains ne seraient pas tachees du sang du genocide commis contre le peuple syrien ? Un alaouite qui entamerait un processus de reconciliation nationale......... Est ce rever?

    HABIBI FRANCAIS

    09 h 18, le 15 août 2014

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