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Culture - Bipod

Brutale et vertigineuse expression corporelle sur le fil du rasoir

Pour le dernier maillon des spectacles de cette fête de la danse contemporaine, flamboyant et intense, plus que jamais dans la lignée d'une éloquence corporelle « off » et ultramoderne, le travail outrancier d'Ultima Vez/ Wim Vandekeybus. « Ce que le corps ne se souvient pas » : brutal, dangereux, puissant.

Captivants sont ces sautillements puérils et d’une énergie canalisée... Une prestation débordante de vitalité et de tonicité musclée.

En 1987, venant de Bruxelles et de la Flandre, avec le tandem Ultima Vez/Wim Vandekeybus, New York, la mégacité qui fait mondialement l'événement culturel, découvrait avec stupéfaction le travail de chorégraphes et concepteurs de la danse qui n'ont pas froid aux yeux et aux articulations. Et défient sans vergogne tout l'héritage de la grâce des ballets gris pour instaurer un règne nouveau. Celui d'une modernité avide de liberté, haletante, stridente, pointue. Une danse en rupture avec le passé pour faire décoller la réalité.
Un monde réinventé entre cirque et théâtre de l'absurde, d'une mobilité foudroyante, où musique et acrobatie ont des fusions et des collisions consternantes. Sans parler du risque et du danger de recevoir, carrément, au sens premier du terme, une tuile (lourde de plus d'un kg) sur la tête, balancée comme une plume qui voltigerait sous les sunlights sans faire de heurt.


What the body does not remember (Ce que le corps ne se souvient pas), avec ses 85 minutes – sans entracte – d'une décapante énergie, est l'illustration vivante de l'éclatement de la danse contemporaine. Ici absolument sur le fil du rasoir.
Vingt-sept ans après sa première formulation, dans sa reprise beyrouthine au Madina, cette performance, malgré certaines redites et longueurs, comme un entêtement buté, reste intacte dans sa nouveauté. Et éblouissante dans sa combativité. Une œuvre agressive qui ne laisse guère indifférent. Et aucun répit, pas plus au danseur qu'au spectateur.


Neuf danseurs (garçons et filles) en tenue simple (baskets, pieds nus, tee-shirts, pantalons parfois même pas moulants, vestes, short ou slips) exhibent une musculation impressionnante (des tendons et des biceps à toute épreuve !). Force et adresse perçues à travers les mouvements de jongleurs et de gymnastes rompus à la tâche. Mouvements saccadés, nerveux, intenses, d'une précision et concision fatales.
Peur, angoisse, appels du désir, sentiments, émois, frissons, sensations... L'être vivant est-il en mesure de tout contrôler? Comment peut-on gérer et équilibrer ce flot affectif qui assaille tout corps? Le danger guette partout, comme un chasseur de proie tapi à l'ombre. Vorace et impitoyable. Le choix reste d'une teneur bien mince et ce sont toujours les événements et les conditions qui décident.


Comme tomber en amour, affronter un accident, par essence imprévisible, pour ne pas dire bête. Paradoxe des apparences qu'on considère, et à tort peut-être, maîtrisables... C'est dans ce contexte de vulnérabilité et de théâtralité délibérément décousues que se déroule ce spectacle qui prend à la gorge. Par son énoncé sans fioriture, sa violence à peine masquée, son élan pour se débarrasser de toute contrainte. Avec juste quelques pointes de malice, d'ironie et d'humour. Et pas forcément noir.


Sur une scène nue, deux jeunes hommes, dans les faisceaux lumineux des projecteurs qui dessinent des lignes sur les planches, se jettent par terre, cognent le sol. Avec violence. Sans ménagement. Presque en une volonté de suicide, de mortification et de dépassement. Ils tressaillent, se vautrent, s'allongent, se démènent. Reptiles électrisés ou dressés. S'offrent et se dérobent aux regards. Ils se recroquevillent en fœtus ou s'exposent en toute audace. Au son d'une tablette griffée, caressée, tapée par les mains d'une danseuse assise qui joue de cet instrument improvisé comme sur une peau tendue. Cette peau qui a mémoire coriace et qui marque, en comptable sans état d'âme, minutieusement tout...


Et s'enclenchent les pas de course ou nonchalants, les pirouettes, les culbutes, les affrontements, les empoignades, les jeux de pierre (la scène est alors chantier de construction !), moyen de locomotion ou de communication guerrière, meurtrière... Mais aussi les chaises (jeu enfantin de prendre la place de celui qui est assis : celui qui va à la chasse perd sa place, dit la comptine) et la sensualité en une ronde infernale de la séduction et du choc de la sève qui monte! Captivants sont ces sautillements puérils et d'une énergie canalisée, telle cette danse martiale asiatique où des piquets de bois se referment sur les bonds des danseurs qui ont une agilité animalière d'éviter tout piège...


C'est une ovation debout qui a accueilli cette prestation débordante de vitalité et de tonicité musclée. Et où les danseurs, ruisselants de sueur, ont fait la révérence au public d'une salle comble qui leur a ouvert tous grands les bras et le cœur.
Voilà une séance de clôture qui a de la poigne, du panache et de la vigueur. Et où la danse, vrai reflet de miroir, par-delà rythmes, couleurs, dynamique intérieure et virtuosité, correspond aux préoccupations d'une actualité fuyante et innervée de tensions sociales.

En 1987, venant de Bruxelles et de la Flandre, avec le tandem Ultima Vez/Wim Vandekeybus, New York, la mégacité qui fait mondialement l'événement culturel, découvrait avec stupéfaction le travail de chorégraphes et concepteurs de la danse qui n'ont pas froid aux yeux et aux articulations. Et défient sans vergogne tout l'héritage de la grâce des ballets gris pour instaurer un règne...
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