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À La Une - Témoignage

"Une kalash sur la tête, menottes dans le dos..." Les journalistes ex-otages en Syrie racontent

L'enlèvement, les premiers jours, les conditions de détention, la notion du temps...

Les quatre journalistes français ex-otages en Syrie, Edouard Elias, Didier Francois, Nicolas Hénin and Pierre Torrès, accueillis par le président François Hollande et le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, en France, dimanche 20 avril 2014. AFP/THOMAS SAMSON

Une kalachnikov sur la tête et le calvaire commence pour les journalistes français Didier François, Edouard Elias, Nicolas Hénin et Pierre Torrès, otages 10 mois en Syrie: les coups, la faim, le froid, l'obscurité, un jeu d'échec bricolé, mais aussi une "surréaliste" bataille de boules de neige avec les geôliers...

Après leur libération samedi, les ex-otages livrent, sur Europe 1 pour Didier François et Edouard Elias, et France 24 et Arte pour Nicolas Hénin, les détails de leur quotidien éprouvant, depuis l'enlèvement par un groupe jihadiste jusqu'à la "première odeur de liberté" à la frontière turque. Et le retour, en France, dimanche.

 

- L'ENLEVEMENT:
Le grand reporter d'Europe 1 Didier François et le photographe Edouard Elias, 23 ans, sont enlevés au nord d'Alep le 6 juin 2013. Le 22, c'est au tour de Nicolas Hénin, 37 ans, reporter pour Le Point, et Pierre Torrès, 29 ans, photographe indépendant, à Raqqa.
Didier François et Edouard Elias roulent après avoir passé la frontière turco-syrienne quand ils sont arrêtés par des hommes armés et masqués.
"Une kalash sur la tête, menottes dans le dos... En anglais, ils nous ont dit +Don't be worry (ne vous inquiétez pas), on va tout vérifier, ça peut être réglé en une heure+", raconte Didier François.
Puis, "on se retrouve en t-shirt, sans ceinture, sans chaussures" pour ne pas s'enfuir, "sans téléphone, sans rien. Et avec quelque chose sur la tête".

 

- PREMIERS JOURS:
"Ils vous mettent tout de suite dans l'ambiance. La pression est très, très, très forte. Quatre jours sans manger et sans boire. Au quatrième jour sans boire, on commence vraiment à être mal, menotté à un radiateur et des coups. C'est un peu pour casser les velléités de résistance", raconte Didier François.

 

- LA TENTATION DE l'EVASION:
Nicolas Hénin a réussi au troisième jour à s'éloigner d'une dizaine de kilomètres. "J'ai passé une nuit en liberté à courir dans la campagne syrienne avant de me faire rattraper par mes ravisseurs".


Pour Didier François, les chances de succès tiennent du "miracle". D'abord, "on est restés sans chaussures pendant dix mois". Puis "vous êtes vêtus de manière assez visible (...) vous ressemblez à superman mais en couleur plus brillante. Il n'y a strictement aucune chance de passer inaperçu".

 

(Lire aussi : La DGSE, maître d'oeuvre de la libération des journalistes français otages en Syrie)

 

- DETENTION EPROUVANTE:
Après les interrogatoires menés séparément, les quatre sont rassemblés. Ils seront ensemble la majorité du temps.
Enfermés dans "des caves avec des portes en fer, et des barreaux sur tous les interstices", ils ne revoient la lumière du jour que durant "15 jours, trois semaines, dans une maison" (D. François). Pendant un mois et demi, ils restent menottés et enchaînés.
Ils sont régulièrement déplacés. "Une longue errance", selon Nicolas Hénin qui a comptabilisé une dizaine de lieux de détention, en zones de guerre, parfois proches des lignes de combat.
Pour lui, le plus difficile au début est "le manque de nourriture" et le "froid". "On est descendu très, très bas en poids", confirme Didier François. Ils sont mieux nourris les derniers mois "quand les négociations ont commencé à reprendre".
Ils sont sales. "J'ai gardé les habits avec lesquels j'ai été capturé le 22 juin jusqu'au 23 décembre", raconte Nicolas Hénin.
Sur les violences physiques, les geôliers et de possibles codétenus, les otages refusent d'élaborer. Didier François raconte des simulacres d'exécution, "pistolet sur la tempe ou sur le front".
Penser aux proches est douloureux. "Ma véritable inquiétude était celle-là. Comment ils allaient réagir?".
Dans de telles conditions, la cohabitation entre otages n'est pas toujours simple: "il y a eu d'énormes tensions entre nous".

 

- GARDER LA NOTION DU TEMPS...:
Sans lumière du jour, "on perd le compte", explique Edouard Elias. "Mais grâce à Nicolas, qui est un homme de chiffres, on a réussi à rester calés". Les cinq prières par jour des musulmans servent de repères. Ils ne savent quasiment rien du monde extérieur, sauf la mort de Mandela annoncée par les geôliers.

 

- ... ET LE TUER:
"Le temps était long", dit Edouard Elias qui a confectionné avec Didier François un jeu d'échec dans une boite à fromage, avec un coupe-ongle et un stylo, le tout caché dans la doublure de la veste et les chaussettes du photographe.
Les deux se donnent aussi des "cours" de photographie ou de plongée sous-marine, et se remémorent les grandes dates de l'histoire de France depuis Clovis.

 

Nicolas Hénin retrouvant enfin sa famille. REUTERS/Philippe Wojazer

 

 

- "VIRGULE DE SOURIRE":
Le contact avec les geôliers oscille entre des "phases dures" et "des phases de détente absolue", résume Didier François, qui décrit un "moment surréaliste" où les gardes sont entrés dans la cellule prétendant apporter à manger et au lieu de çà, "avaient amené de la neige, et ont fait une bataille de boules de neige avec nous".
"Une espèce de virgule de sourire au milieu de dix mois" où "vous êtes en mode survie".

 

- "PREMIERE ODEUR DE LIBERTE":
Au début, "on n'y croyait pas. On avait l'habitude qu'on nous dise: +Vous allez en Turquie+ et de se retrouver dans une autre cave", raconte Edouard Elias. Ils sont alors emmenés en voiture jusqu'à la frontière qu'ils passent à pied.
"On a su qu'on était libres quand un capitaine de l'armée turque nous a fait passer devant lui, et la première odeur de liberté a été de le serrer dans nos bras." (D. François)

 

- LES RISQUES DU METIER:
"Il fallait aller" en Syrie après avoir appris que le régime d'Assad avait fait usage d'armes chimiques. "C'est indiscutable", pour le grand reporter. "C'est notre métier de trouver les témoignages et de les rapporter. Si on ne fait pas à ça, à quoi sert-on?".

 

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