C'est en présence du chef de l'État, le président Michel Sleiman, que le patriarche maronite, Béchara Raï, a plaidé mercredi 25 décembre en faveur de l'alternance démocratique au niveau de la première présidence, et contre la politique de la chaise vide que certains cherchent à imposer, comme ils l'ont fait pour la Chambre, puis comme ils l'ont fait pour la présidence du Conseil, après avoir poussé Nagib Mikati à démissionner.
L'impasse politique étant ce qu'elle est, c'est pratiquement les mêmes thèmes, avec des phrases à peine moins différentes, que le patriarche a repris, dans l'homélie de Noël qu'il a prononcée mercredi devant le chef de l'État, et devant ses nombreux visiteurs, mercredi et hier jeudi. « Une vacance au niveau de la présidence serait une insulte à la patrie ! » a-t-il notamment affirmé hier, avant de faire de la présence à la séance de vote une obligation morale pour les députés chrétiens.
L'homélie de mercredi, cependant, a donné au patriarche l'occasion de rendre un vibrant hommage au chef de l'État, par opposition à une faune politique conduite par ses seuls intérêts, et de bien montrer où il se situe, politiquement.
« En cette heureuse occasion, a commencé le patriarche, nous vous adressons nos meilleurs vœux et félicitations, et, à travers vous, à tous les Libanais résidents ou à l'étranger. Nous demandons au Christ, notre Seigneur, de faire de l'année 2014 qui vient un temps de paix et de bonheur, et de réaliser votre grand souhait, concrétisant votre franche et ferme parole, à savoir : la formation d'un nouveau gouvernement fidèle au pacte, à même de faire face aux crises et défis à venir, qu'ils soient économiques, sociaux ou sécuritaires, qui ne souffrent pas d'être renvoyés à plus tard ; à même de mettre au point une nouvelle loi électorale et à préparer la grande échéance, à savoir l'élection d'un nouveau président de la République dans les délais constitutionnels. »
Et Mgr Raï d'ajouter : « Notre culture chrétienne est enracinée dans la Parole de Dieu, dans le Verbe fait chair. Nous sommes invités à diffuser cette Parole et à la laisser imprimer toutes nos actions temporelles, au Liban et dans tout le Machrek. Le Christ, le Fils de Dieu incarné, est la seule et ultime Parole du Père. En lui, toute la volonté de Dieu s'est fait connaître à l'humanité, tout ce que nous devons savoir sur l'homme, sur Dieu et sur l'histoire (...) Telle est la dignité de tout être humain et sa sainteté, c'est de coopérer avec Dieu dans la création de l'histoire. Le chrétien n'est pas l'homme d'un Livre, mais celui d'une Parole incarnée agissante, non pas le fils d'une parole écrite silencieuse et d'une lettre morte, mais de l'Esprit qui l'a inspirée, qui lui en ouvre l'entendement. »
« Vous êtes de ceux qui croient en la Parole de Dieu, a ajouté le patriarche, et c'est d'elle que vous tirez toujours votre stabilité dans la défense du droit, le courage de la vérité, la clarté et le respect d'autrui, en vertu de votre serment constitutionnel, alors que d'autres, beaucoup d'autres, sont conduits par leurs intérêts personnels, partisans ou confessionnels, aux dépens de la vérité, de la Constitution, de la loi, de l'État et de la patrie. Ceux-là assurent, comme on dit, une couverture politique à toutes sortes d'entorses, d'infractions et d'abus, avant d'affirmer, quand l'opinion réclame que l'on combatte le pillage et la corruption, qu'une décision politique en ce sens est indispensable. »
« La Constitution est une vérité qu'il est interdit de contourner pour des intérêts personnels ou partisans (...) Seule la fidélité à la parole donnée peut sauver le Liban des dangers politiques, économiques et sécuritaires qui le cernent. Nous tous Libanais devons entendre cette parole telle qu'elle sort de votre bouche, Monsieur le Président, ainsi que celle de la bouche du peuple qui ploie sous le fardeau de la nécessité, de la bouche des associations économiques qui mettent en garde contre un effondrement économique et commercial, de la bouche des experts financiers qui voient à l'horizon se profiler le spectre d'une dette qui croît et d'une faillite de l'État. »
Et le patriarche de réclamer une mobilisation générale, au Liban et à l'étranger, des forces capables de défendre « la cause libanaise », dont le triomphe voudra dire « paix et stabilité pour la région et entente sur l'unité dans la diversité ».
Debout à côté du patriarche, le président Sleiman devait par la suite recevoir, pendant quelques minutes, les félicitations d'usage, dans le grand salon patriarcal.
Geagea et le mouvement Amal
En cours de journée, le patriarche devait recevoir le leader des Forces libanaises, Samir Geagea, une délégation du bureau politique du mouvement Amal conduite par cheikh Hassan Masri et le député Ali Bazzi, les ministres Hassan Diab et Marwan Charbel, ainsi que de nombreuses délégations populaires.
En quittant Bkerké, M. Geagea a reformulé certaines des prises de position de son parti. Ainsi, il a regretté que le Hezbollah se batte en Syrie au mépris de l'avis des autres composantes de la société libanaise. « Ils ne se rappellent de l'unité nationale et du partenariat que lorsqu'il s'agit du gouvernement, mais ils oublient l'union nationale et le partenariat lorsqu'ils prennent l'initiative d'aller combattre en Syrie », a notamment déclaré M. Geagea.
Le leader des FL a d'autre part refusé refusé la formation d'un gouvernement suivant la formule 9-9-6 qui serait condamné, selon lui, à la paralysie. M. Geagea a également appelé les députés à « remplir leur devoir lors de la séance d'élection d'un nouveau président de la République ». « En dépit des difficultés, je ne suis pas pessimiste », a-t-il dit.
De son côté, cheikh Hassan Masri a déclaré : « J'ai présenté, au nom du président Berry, les félicitations d'usage au patriarche, à l'occasion de la fête de la naissance du Christ Seigneur qui est et restera à jamais la voix de la paix (...), cette paix que beaucoup essaient d'assassiner au nom de la religion (...), alors qu'ils sont parfaitement étrangers à la religion, surtout quand, au nom de cette paix, on enlève des évêques et des religieuses , ou qu'on attaque des lieux de culte qui étaient là avant l'apparition de l'islam, alors qu'ils sont détruits aujourd'hui au nom de l'islam. Mais quel est cet islam-là ? »
L'uléma a précisé par ailleurs que le mouvement Amal est entièrement acquis à l'idée de l'élection d'un nouveau président de la République dans les délais constitutionnels prévus.
Après le mouvement Amal, c'était au tour du Hezbollah de se rendre en délégation hier à Bkerké, pour présenter ses vœux au patriarche. La délégation était conduite par deux membres du bureau politique du parti, Ghaleb Abou Zeinab et Moustapha Hage. Elle a été reçue par le patriarche en présence des deux membres permanents de la commission de dialogue avec le Hezbollah formée par Bkerké, Mgr Samir Mazloum et Hareth Chéhab.
Les membres de la commission ont ensuite gagné le bureau personnel du patriarche, pour une réunion d'environ trente minutes, à l'issue de laquelle Ghaleb Abou Zeinab devait affirmer que le Hezbollah appelle à l'organisation d'élections présidentielles dans les délais et dans l'émulation démocratique. En d'autres termes, qu'il est défavorable à un président de compromis.
Le patriarche a notamment reçu hier les députés Robert Ghanem, Henri Hélou, Walid Khoury, Salim Salhab et une délégation du commandement de l'armée.
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commentaires (3)
Un véritable moine maronite, le Râëéhhh avec toutes ces "mondanités" !
ANTOINE-SERGE KARAMAOUN
12 h 18, le 27 décembre 2013