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Liban - Artisans de la paix de demain*

Une pierre angulaire : l’action sociale

« Le travailleur social réanime la société, répare le lien social déchiré, consolide les liens distendus, rétablit les liens rompus... »
P. Jean DUCRUET

« Une expérience qui fait découvrir “l’autre” si proche, mais qu’on ignorait jusque-là. » Une des œuvres de Georges Braque actuellement exposées à Paris.

La situation de rupture sociale, qu’elle soit interpersonnelle ou avec les structures, ouvre une brèche pour tout genre de problèmes sociaux, faisant émerger la violence chez les personnes ou groupes. En période de guerre puis d’après-guerre, l’atomisation de la société a, petit à petit, détérioré le lien social et la qualité de vie qui sont des garants de la paix sociale, sachant que la société n’est pas une somme d’individus, mais un tissu de relations où la réciprocité et le respect mutuel sont supposés former les piliers de la citoyenneté et de l’esprit démocratique. C’est ici même que le travail social trouve sa place, sous sa forme professionnelle ou bénévole, en amont ou en aval de cette rupture pour la prévenir ou alors pour rétablir un lien social fracturé. Par sa proximité qui favorise les espaces de parole, il formerait une pierre angulaire du développement et une matrice de tissage de liens sociaux là où ils sont menacés.
Le contraire de la paix n’est pas seulement la guerre, mais aussi le mal-vivre, la pauvreté et l’exclusion. Il n’y a pas de culture de paix viable sans exigence de démocratie, sans respect des droits de l’homme et du citoyen, sans la justice sociale et économique, car l’impossibilité d’accéder à l’éducation et à la formation sont des facteurs aggravants à tous les points de vue.
Que ce soit en défendant les droits des minorités, en renforçant les processus de démocratisation ou en favorisant le dialogue social, l’acteur social promeut la paix, spécialement dans certains contextes connus « à risque ».
En amont, la notion de développement social serait donc primordiale dans une prévention des conflits et une préparation d’un terrain de paix. La déclaration du pape Paul VI tirée de son encyclique Populorum progressio le certifie, quand il affirme que le «développement est la nouvelle incarnation de la paix» et que «l’on ne doit pas considérer la paix simplement comme l’absence de guerre», mais qu’« il faut la bâtir quotidiennement et tendre vers une justice accrue entre les êtres humains».
Qui dit développement dit participation de la communauté au travail en commun et aux décisions à prendre, ce qui implique la nécessité de la prise de conscience de ses droits et devoirs, et de la notion de citoyenneté dans des contextes économiquement et politiquement instables. Ainsi, le «développement communautaire» occupe une place fondamentale dans ce processus. Sœur Noha Daccache, assistante sociale, enseignante universitaire, ayant eu une longue expérience dans ce domaine, confirme: «Le travail social contribue à la paix car il établit des liens sur une base de droits et d’égalité, en allant du fondement de la relation communautaire et en créant des réseaux, de la coopération, de la mutualisation, expressions de la participation des personnes. Ce besoin qu’a l’être humain de se sentir utile, actif et participant à la vie communautaire et citoyenne fait germer en lui une valorisation de soi et des autres, qui le prémunit contre la violence dans ses relations.»
C’est justement dans cette perspective que fut initiée cette expérience de travail communautaire à Tarchiche. Ainsi, depuis 1997, un groupe de professionnels et de bénévoles entreprennent ensemble des activités socio-éducatives, parrainées par les pères jésuites, à partir de «Notre-Dame de la Route», dont l’objectif est de resserrer les liens entres les habitants de 4 villages limitrophes (Aïntoura, Tarchiche, Majdel Tarchiche et Kfar Selwan), qui regroupent des communautés
multiconfessionnelles (sunnites, druzes, chiites et chrétiens). L’espace créé est un lieu de rencontre, de réconciliation et de promotion sociale, à travers un club de jeunes et différents programmes renforçant la solidarité, l’entraide et le dialogue social. Les activités communes, l’encadrement et l’écoute active libèrent la parole des jeunes; «Cette expérience nous a fait découvrir “l’autre” si proche de nous mais qu’on ignorait jusque-là», témoigne l’un d’entre eux.
Dans ce cadre, les travailleurs sociaux peuvent s’avérer garants de la démocratie et agents de développement, en adoptant des rôles de médiation, de mobilisation, de revendication, de conscientisation et d’éducation populaire.

L’entrepreneuriat social
L’une des clés du développement social pourrait être celle de l’entrepreneuriat social, nouveau phénomène mondial qui trouve actuellement son créneau au Liban. Dans ce sens, un programme de formation à «l’entrepreneuriat social» vient de voir le jour au sein de l’ELFS (École libanaise de formation sociale) de l’Université Saint-Joseph. Ce cursus préparerait les étudiants à «utiliser les forces du marché pour créer des entreprises dont l’activité économique répondrait à des besoins sociaux, environnementaux et humanitaires», explique Maryse Jomaa, directrice de l’ELFS. Ceci entraînerait nécessairement un impact positif sur la société dans son ensemble et une voie de résolution des problèmes sociaux cruciaux, à travers des outils novateurs, axés sur l’utilité sociale plutôt que la maximisation des profits. Cet axe s’avère prometteur en ces temps de crise socio-économique aiguë.
«L’entrepreneuriat social consiste principalement à harmoniser deux mondes jusqu’alors séparés: celui du social et celui de l’économique. Cette nouvelle conception, sous ses différentes formes, pourrait d’un côté humaniser l’activité économique et, de l’autre, rentabiliser l’activité sociale, en faisant prendre aux gens leurs propres initiatives», ajoute Mme Jomaa. Les résultats escomptés de tels projets seraient de créer de nouveaux emplois et de nouveaux services ou produits, activer la participation des citoyens, intégrer des groupes vulnérables de la population, utiliser les ressources de manière créative, habiliter les gens à se motiver pour améliorer leur qualité de vie.
Coopérer entre tous les acteurs sociaux (bénévoles et professionnels) pour arriver à l’élaboration de politiques sociales cohérentes, facilitant le maintien de la paix. Telle serait la ligne d’action pour le futur. Mais aussi induire un changement de regard sur les êtres et la vie, afin de favoriser la culture de paix. Qui mieux que le travailleur social, agent du changement par excellence, serait à même de le réaliser? Or, les travailleurs sociaux savent d’expérience que le changement n’est jamais acquis d’emblée. Il ne survient parfois qu’au terme d’années de réflexion et d’expérimentation. Les résistances au changement sont profondes dans le domaine des mentalités. Mais elles peuvent disparaître à l’occasion d’une rencontre, d’une parole, d’une épreuve qui bouleverse le cours d’une vie. Il arrive aussi que l’action sociale joue ce rôle: changer les perceptions et les comportements pour un monde plus juste, plus solidaire, plus pacifique.

* Voir « L’Orient-Le Jour » du vendredi 18 octobre.

La situation de rupture sociale, qu’elle soit interpersonnelle ou avec les structures, ouvre une brèche pour tout genre de problèmes sociaux, faisant émerger la violence chez les personnes ou groupes. En période de guerre puis d’après-guerre, l’atomisation de la société a, petit à petit,...

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