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À La Une - Reportage

Shamsia, la Malala afghane

La jeune femme, vitriolée à 17 ans car elle se rendait à l’école, est devenue enseignante pour défier ses assaillants.

Sur cette photo, la jeune Afghane Shamsia Husseini suit un stage d’enseignement. Massoud Hossaini/AFP

Agressée à l’acide il y a cinq ans devant son lycée, la jeune Afghane Shamsia Husseini s’était juré de défier ses assaillants en poursuivant ses études. Elle a non seulement tenu parole, mais aujourd’hui, c’est elle qui enseigne aux gamines de son quartier.
Ce jour de novembre 2008, Shamsia marche avec des camarades vers le lycée Mirwais Nika, un établissement pour filles à Kandahar, bastion historique des talibans dans le sud du pays, quand deux hommes à moto s’arrêtent à côté d’elle. L’un d’eux, masqué, l’interpelle, lui demande si elle va à l’école, puis arrache son voile et lui jette de l’acide au visage. Shamsia, alors âgée de 17 ans, est gravement blessée, ainsi qu’une quinzaine d’autres adolescentes. L’agression suscite une vague de réprobation dans le monde entier. Laura Bush, alors Première dame des États-Unis, évoque « un crime ignoble et lâche ».

Ils n’ont pas gagné...
Malgré tout, Shamsia convainc ses parents de la laisser continuer à aller au lycée. Cinq ans plus tard, ses yeux la font toujours souffrir, elle a des troubles chroniques de la vision, mais elle s’est accrochée, et c’est elle maintenant qui donne des cours aux filles de Mirwais Nika. « Elles sont parfois un peu dissipées, elles me testent », dit la jeune femme en souriant, au milieu de fillettes âgées d’une dizaine d’années. « C’était très important pour moi de devenir enseignante. C’est une manière de dire que ceux qui m’ont attaquée n’ont pas gagné », souffle-t-elle.

 

« En enseignant, je veux montrer que les femmes peuvent faire plus en travaillant qu’en restant derrière les fourneaux », assure Shamsia Husseini, debout au centre de sa classe en voile noir. Massoud Hossaini/AFP

 


L’attaque n’avait pas été revendiquée et les talibans eux-mêmes, qui interdisaient l’école aux filles lorsqu’ils étaient au pouvoir (1996-2001), ont affirmé ne pas être impliqués. Neuf suspects avaient été interpellés, puis relâchés sans que personne ne soit jamais condamné pour ce crime. Pourtant, l’un des agresseurs vit juste à côté de chez Shamsia, soutient la jeune femme. « Il est en liberté, et ce qui s’est passé pourrait très bien se reproduire. Il faut qu’il soit puni, sinon cela veut dire qu’il n’y a pas de justice », dit-elle. « Le président Karzaï avait promis de les pendre. Si jamais j’ai un jour l’occasion de lui parler, je lui demanderai pourquoi il ne l’a pas fait », gronde-t-elle.


Le lycée Mirwais Nika, construit par les Japonais, a ouvert ses portes en 2004 et accueille 2 600 filles âgées de 6 à 20 ans. Shamsia, qui gagne 85 dollars par mois, y enseigne les arts plastiques et l’écriture. Suite à cette agression, l’établissement avait été à deux doigts de fermer ses portes. « Nous avons dû travailler dur pour convaincre les parents de ne pas retirer leurs enfants de l’école après l’attaque », raconte la directrice, Danesh Alavi. « Je me souviens de ce jour, la peur, la panique, l’anarchie. Le fait que Shamsia soit devenue professeure est un exemple de courage pour les autres filles », assure-t-elle.

Succès mitigé
Si les droits des femmes ont progressé depuis la chute des talibans, Kandahar reste l’une des provinces les plus conservatives d’Afghanistan. Lorsqu’elles quittent l’école, les élèves passent l’essentiel de leur temps chez elles, et quand elles sortent, elles doivent porter la burqa.
Rester à la maison, ne pas travailler ? Inimaginable pour Shamsia. « En enseignant, je veux montrer que les femmes peuvent faire plus en travaillant qu’en restant derrière les fourneaux », assure la jeune femme au visage ceint d’un voile noir. Deux heures par jour, Shamsia participe avec d’autres femmes à une formation pour devenir enseignante certifiée. Le trajet en bus vers l’université de
Kandahar étant trop risqué, c’est sa formatrice, Bahir Makimi, qui se déplace. « Shamsia est déjà une bonne enseignante et elle va s’améliorer », remarque Mme Makimi, tout en regrettant « ne pas disposer de structures pour leur donner des formations plus poussées ».


L’éducation des jeunes filles est souvent citée comme un succès de l’effort international mené en Afghanistan. Mais le manque de classes et d’enseignantes, de même que les mariages précoces qui conduisent les jeunes filles à quitter le système scolaire, restent toujours problématiques, et la situation pourrait s’aggraver avec le retrait des soldats de l’OTAN d’ici à la fin 2014. Une perspective inquiétante pour Shamsia. « L’éducation des filles, le fait d’avoir des femmes qui enseignent, est crucial pour l’avenir de l’Afghanistan, pour montrer à tous ce dont les femmes sont capables. »

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