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Grève des enseignants : Au Liban, les parents d'élèves entre compréhension et frustration

La grève des enseignants, au Liban, a un impact direct sur le quotidien des élèves et des parents. Qu’en pensent ces derniers, comment gèrent-ils la situation? Lorientlejour.com leur donne la parole.

Manifestation des enseignants le 26 février 2013 à Beyrouth, à l'appel du Comité de coordination syndicale (CSS). Photo Nasser Trabulsi

Les journées de leurs enfants sont réglées comme du papier musique. Comment les envoyer à l'école, les récupérer, les occuper après les cours... Tout est prévu, organisé, minuté.

 

Alors quand, au dernier moment, les cours sont annulés pour cause de grève, c'est un gros grain de sable qui vient enrayer la belle mécanique mise en place par les parents d'élèves.

 

Or, au Liban, ces derniers temps, les jours de grève sont plutôt fréquents pour cause de conflit social autour de la grille des salaires des employés du public. Ce conflit s'est encore durci il y a huit jours avec le lancement d'une grève ouverte par le Comité de coordination syndicale (CCS), qui s'est traduit, entre autres, par la fermeture de la plupart des écoles publiques et privées, les enseignants du privé s’étant solidarisés de leurs collègues du public.

Et les syndicalistes ont averti que manifestations et grève vont se poursuivre jusqu'à ce que le gouvernement transfère au Parlement la nouvelle grille des salaires. Ce que le cabinet de Nagib Mikati refuse de faire tant que les moyens de financer ladite grille n'ont pas été assurés.

 

En attendant la résolution de cette crise, coincés entre syndicats, enseignants et gouvernement, les parents d'élèves galèrent. Le signal de la galère à venir prend souvent la forme d'un SMS, envoyé la veille du jour de grève par l'établissement scolaire.

Dès le message reçu, les parents passent en mode gestion de crise. Pour certains, comme Patricia Abella, responsable administrative dans une entreprise de génie civile, la famille est le seul recours. "Dans mon cas, mes enfants sont bien entourés, ma belle-mère les prend en charge ou leur grand cousin, le temps que je finisse ma journée de travail", explique cette mère de deux enfants à Lorientlejour.com.

 

Confrontée pour la première fois lundi à la fermeture de l’école de sa fille, âgée de cinq ans, Nariman, compte, elle aussi, sur ses proches. C'est l'un de ses deux fils qui a découvert, dimanche soir, que l'école de sa petite sœur fermait le elndemain, en passant devant l’établissement sur lequel une affichette annonçant la grève avait été placardée. "Lundi, j'ai déposé ma fille chez une de ses tantes", explique-t-elle. Et si les tantes ne sont pas disponibles? "Eh bien je l'emmènerai au bureau!", s'exclame-t-elle.

 

Quand les jours de grève ne sont pas annoncés bien à l'avance, la vie des parents prend un tour singulièrement "compliqué", explique Maya Zeito. "Quand, après avoir accompagné mon enfant à l'école, je découvre les grilles de l'établissement fermées, je suis prise de panique. Je dois aller au bureau et mon enfant n'a pas école, je ne sais plus quoi faire, ni où le déposer. La plupart du temps, les parents de mon mari et mes parents peuvent nous dépanner, mais à la longue, cette situation est intenable", explique cette architecte d’intérieur.

 

Roland, père d’une petite fille de trois ans et chercheur, travaille à la maison. "Je travaille sur ma thèse à la maison, donc quand ma fille n’a pas école, je dois la garder, et je ne peux plus travailler. Ma femme est également forcée de revenir plus tôt du bureau ou de travailler seulement une demi-journée", explique-t-il.

 

"Tout se fait à la dernière minute, il n’y a plus d’organisation, pas d’emploi de temps, nous sommes perdus, nous n’avons plus de repères", regrette Aline*, mère de trois enfants, qui déplore également l’effet de la grève sur les écoliers.

 

Pas de devoirs

Pour les enfants, passé le premier effet excitant quand retentit l’annonce "pas d'école demain", les interruptions répétées des cours peuvent être perturbantes.

"Pas de devoirs, pas d’examens, pas d’études… Mes enfants sont nerveux, ils ne sont plus à jour, les retards s'accumulent, ils ont de plus en plus de mal à se concentrer", explique Aline.

 

Même son de cloche du côté de Paola Matta, employée à plein temps, qui qualifie la situation de "catastrophique". "Les enfants ne sont plus concentrés sur leurs études, les chapitres s’entassent, il y a plus de pression sur eux pour qu’ils étudient", explique cette mère de deux enfants.

 

Marzena-Zielinska Schemaly commence, elle aussi, à s’inquiéter pour l'éducation de son fils. "Lorsqu'il n'a pas école, je reste avec lui à la maison, nous étudions ensemble. Mais organiser notre temps est assez difficile", explique cette écrivaine libano-polonaise.

"Jusqu'à présent, le nombre de jours de grève n’a pas affecté le programme éducatif, mais si le mouvement se poursuit, les conséquences risquent d'être graves, d'autant plus que l’école de mon fils se trouve dans une région montagneuse du Liban et qu'elle elle a déjà fermé plusieurs jours lors des tempêtes de neige", poursuit la jeune maman.

 

En raison des jours de grève, "les élèves passent plus rapidement sur les matières au programme, afin de le boucler, malgré tout, à la fin de l’année. La situation n’est pas encore très grave, mais si les grèves se poursuivent de cette façon, ça risque de le devenir", estime, de son côté, Patricia Abella.

 

 

Compréhension et frustration

En ce qui concerne la grève elle-même, les parents sont partagés.

D’après Aline, les revendications des enseignants de l’établissement scolaire dans lequel sont inscrits ses enfants ont été satisfaites. "Je peux comprendre qu’ils veuillent lutter pour leur salaire, mais il faut faire la part des choses. Tout ce qui leur est dû leur a été versé, ils ont obtenu leur droit et même plus", précise cette femme, âgée d'une trentaine d'années. "Nous n’avons pas fauté, mais nous payons le prix le plus cher de cette crise", lance-t-elle.

 

Pour cette mère, il devrait y avoir "une soupape de sécurité pour ce genre de situation, qui garantisse les droits des élèves et des parents. C’est une situation très frustrante et très mauvaise, il n’y a pas de dialogue et la colère des parents envers les enseignants s’accentue".

 

"Nous nous étions mis d’accord avec les enseignants sur des grèves ponctuelles afin de ne pas entraver l’éducation des élèves", renchérit Dana Abou Chakra, présidente du comité des parents du Collège protestant. Vu que les enseignants du privé ont voulu être solidaires des enseignants du public, la situation a changé : "les enfants sont en vacances, le rythme est saccadé, ils sortent, ils veillent le soir et il n’y a toujours pas de jours de récupération".

"Je comprends très bien les revendications des enseignants, poursuit-elle, les promesses qui leur ont été faites n’ont pas été tenues, mais je ne pense pas qu’une augmentation des salaires est la solution, car il est certain que les prix vont également augmenter en conséquence… C’est un cercle vicieux".

 

Paola Matta dit, elle aussi, comprendre "les revendications des grévistes", mais ajoute qu’il "devrait y avoir une autre façon de mettre la pression (sur le gouvernement) afin de ne pas entrer en conflit avec les parents. D'autant plus que si les grévistes n'ont toujours pas eu de résultats concrets, nous, parents, continuons de payer la scolarité de nos enfants".

 

Un avis que partage Patricia Abella. Les enseignants ont le droit de faire la grève et de manifester, souligne-t-elle, "mais je ne comprends pas pourquoi cela doit se faire à nos dépends. Chaque année, nous payons plus pour la scolarité de nos enfants, et en contrepartie, il y a de moins en moins de jours d'école!".

 

Après avoir dressé le même constat sur la hausse des frais de scolarité, Marzena-Zielinska Schemaly, qui habite au Liban depuis plusieurs années, affirme être "solidaire des enseignants qui luttent pour leurs droits. Mais il faut qu’ils prennent en considération l’impact de leur mouvement sur les parents. Pour moi ce n’est pas grave jusque-là, mais je connais des parents qui n’arrivent pas à gérer cette situation, et sont obligés de prendre leurs enfants avec eux au bureau".

 

Roland est, lui, plus clair dans son soutien aux enseignants. La grève est nécessaire, estime le jeune papa, "c’est le seul moyen pour les enseignants d’obtenir leurs droits et de faire parvenir leur message. Je trouve que c’est une bonne action. Comment voulez-vous qu’ils subsistent avec des salaires mensuels de 600.000 et de 700.000 livres libanaises (entre 400 et 466 USD, ndlr)", s'interroge le doctorant.

 

 

*Le nom de la personne a été modifié, l'interviewée souhaitant garder l'anonymat.

Les journées de leurs enfants sont réglées comme du papier musique. Comment les envoyer à l'école, les récupérer, les occuper après les cours... Tout est prévu, organisé, minuté.
 
Alors quand, au dernier moment, les cours sont annulés pour cause de grève, c'est un gros grain de sable qui vient enrayer la belle mécanique mise en place par les parents d'élèves.
 
Or, au Liban,...

commentaires (1)

Beaucoup plus de frustration que compréhension vivent les parents pour des professeurs qui n’ont aucune conscience professionnelle . Nazira.A.Sabbagha

Sabbagha A. Nazira

09 h 40, le 26 février 2013

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Commentaires (1)

  • Beaucoup plus de frustration que compréhension vivent les parents pour des professeurs qui n’ont aucune conscience professionnelle . Nazira.A.Sabbagha

    Sabbagha A. Nazira

    09 h 40, le 26 février 2013

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