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Le flop de l’eurodon

Nos mercantiles ancêtres phéniciens seraient bien capables de la renier pour le coup, mais non, non et non, le Liban n’est pas à vendre : car, du jour au lendemain, la gent politique a fait de cette fière affirmation, déclamée sur tous les tons avec force effets de manche, son leitmotiv, son credo, lequel est même en voie de supplanter l’hymne national.


Pour déclencher ce vibrant et fort inattendu élan de patriotisme, il aura fallu qu’atterrisse sur la scène un cadeau passablement empoisonné : ce don d’un milliard d’euros offert par l’Union européenne à titre d’assistance socio-économique, notamment en matière d’éducation et de santé. Or un bon quart de cette somme doit bel et bien servir à stimuler les efforts des autorités libanaises visant à combattre l’émigration clandestine vers le Vieux Continent. Voilà qui suffit à ternir le caractère désintéressé du geste. Voilà surtout qui est, pour l’establishment politique, une occasion en or (ou en euros !) de monter sur ses grands chevaux pour dédaigner l’infamant bakchich. De se donner bonne conscience au moindre prix.


Pour le Premier ministre démissionnaire, il n’y a pourtant rien de dégradant dans l’initiative européenne. À l’appui de sa thèse, il pourrait d’ailleurs faire valoir que l’époque est révolue où les Américains pouvaient, pour une bouchée de pain, acheter la Louisiane aux Français, puis l’Alaska à la Russie tsariste. Il pourrait rappeler que, plus récemment, l’excentrique président Donald Trump est devenu la risée du monde avec sa prétention à acquérir le Groenland danois à la faveur d’une monumentale transaction financière.


Signe des temps, c’est un argument d’un tout autre genre que l’on ose brandir dans les couloirs du Sérail. Voilà, y assure-t-on avec le plus grand sérieux, qu’un gros milliard tombe miraculeusement dans l’escarcelle du Liban appauvri ; mieux encore, le prodige s’accomplit au nez et à la barbe du Fonds monétaire international, sans même que l’État libanais ait eu à entreprendre l’une ou l’autre des réformes structurelles exigées par les prêteurs et donateurs. Avec une aussi belle mentalité, c’est tout juste si on ne nous demande pas d’applaudir bien fort au singulier exploit !


Il n’empêche que l’amère pilule est beaucoup trop grosse ; et que, pour empocher le magot, le gouvernement d’expédition des affaires courantes a besoin d’une couverture parlementaire, un vœu promptement exaucé par le président Nabih Berry qui a convoqué l’Assemblée pour la semaine prochaine. D’ici là, les députés auront donc toute latitude de peaufiner leurs péroraisons, loin de préoccupations aussi futiles que la guerre qui gronde à la frontière sud et les misères qui accablent le peuple dans sa vie quotidienne.


Scandaleusement inique pour le Liban est l’assistance internationale apportée aux réfugiés et déplacés syriens qui y ont trouvé refuge. Car, plutôt que d’œuvrer à ramener ces derniers dans les nombreuses zones sécurisées de leur pays, le Haut-Commissariat onusien en charge de la question ne fait objectivement que prolonger un exil adouci par les prestations sociales qu’il assure ; s’obstiner dans une telle voie, c’est surtout compromettre gravement l’identité démographique particulière du Liban. On ne peut plus normale, légitime et même nécessaire est, dès lors, l’actuelle levée de boucliers. Ce qui interpelle en revanche, ce qui dérange et choque dans ce vaste concert de protestations, c’est que les moins bien placés pour se plaindre sont aussi les plus braillards.


Écartelé entre l’émotion ambiante et son soutien au gouvernement, le Hezbollah, fourvoyé dans l’interminable guerre de Syrie, ne saurait faire oublier son diligent apport à la production massive de réfugiés à laquelle s’est voué le sanguinaire régime de Damas. Si donc une masse de ces malheureux est sur notre sol, si leur nombre est sans cesse grossi des resquilleurs cherchant à bénéficier des subventions internationales, la milice n’y est pas pour rien. Non moins sujette à caution est la bruyante campagne que mènent contre l’octroi de ces subsides certains personnages politiques qui portent une responsabilité majeure dans l’effondrement financier du pays. À titre d’exemple nullement restrictif, ce malheureux milliard dont se fend l’Union européenne ne représente après tout qu’une infime partie des fonds volatilisés en pure perte dans ce gouffre sans fond qu’est le secteur de l’électricité.


Alors, pas à vendre, vraiment, le Liban, comme ils s’égosillent à le clamer sur tous les tons ? Le plus triste est que ces as du gaspillage et du pillage, il faut les croire sur parole. Car ils n’ont jamais eu à s’embarrasser de quelconques contrats d’achat-vente. Ils se sont servis tout seuls, comme au self. Gratis et jusqu’à plus faim.

Issa GORAIEB
igor@lorientlejour.com

Nos mercantiles ancêtres phéniciens seraient bien capables de la renier pour le coup, mais non, non et non, le Liban n’est pas à vendre : car, du jour au lendemain, la gent politique a fait de cette fière affirmation, déclamée sur tous les tons avec force effets de manche, son leitmotiv, son credo, lequel est même en voie de supplanter l’hymne national.Pour déclencher ce vibrant...