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Culture - Planches

Deux heures avec Thomas Ostermeier dans un atelier de théâtre engagé

Le plus français des metteurs en scène allemands, figure acclamée sur les scènes mondiales et codirecteur artistique de la Schaubühne de Berlin, est de passage à Beyrouth pour participer au festival Zoukak Sidewalks.

Thomas Ostermeier a développé un théâtre qui interroge l’homme et sa place dans la société. Photo Tammo Walter

Thomas Ostermeier a le look prolétaire. Pantalon brun, veste d'ouvrier bleue avec des stylos à bille en sacoche. Et il parle de son travail artistique comme le ferait un artisan en racontant ses créations : directement, franchement et sans fioritures.

C'est la première fois que le metteur en scène allemand de renom vient au Liban. Invité du festival Zoukak Sidewalks, il a animé un masterclass au centre culturel Dawawine à Beyrouth. Masterclass n'est peut-être pas le terme qui convient à cette rencontre informelle de deux heures, durant lesquelles il a présenté, devant une trentaine de personnes (en majorité des gens du métier), sa vision du théâtre et raconté ses influences, passant du naturaliste Stanislavski au symboliste Meyerhold. Pour clôturer avec une démonstration, impliquant deux acteurs choisis parmi le public, de sa technique de mise en scène privilégiée.

Au début, il parle. Le point de départ qui l'amène à se pencher sur une pièce ? « C'est toujours un intérêt personnel », affirme-t-il. Non pas qu'il soit nombriliste, mais par simple manque d'alternatives. « Je ne peux être honnête que lorsque je parle de ce que je connais, dit-il. Pour me rendre à la salle de répétition chaque matin, j'ai besoin d'être mû par un souci profond, qui a à faire avec mon monde à moi. »
Cette démarche explique en partie la multitude de thèmes qu'il a abordés dans son travail au fil des années. Venant d'un milieu « working class », il a ainsi entamé sa carrière, au milieu des années 90 à Berlin, en mettant en scène des textes de jeunes auteurs britanniques qui exprimaient les tribulations d'une génération perdue. Perdue de chômage, d'ennui et de drogues. Assez jeune, à l'âge de 31 ans, il a été assigné à la direction de la Schaubühne, l'un des plus importants théâtres de Berlin.

Le docteur Stockmann, c'est moi !
Avec le succès, son environnement a changé. Les thèmes de ses pièces aussi. C'est ainsi qu'il s'est intéressé dernièrement à la fine psychologie des pièces du dramaturge norvégien Hendrik Ibsen. « Je voulais parler de la nouvelle bourgeoisie à Berlin, et Ibsen était un partenaire parfait pour cela. »
En 2012, Ostermeier a monté Un ennemi du peuple, l'une des pièces les plus célèbres d'Ibsen. Un spectacle qui a enthousiasmé le public du festival d'Avignon et avec lequel il a fait un triomphal tour du monde. Le caractère principal, le docteur Stockmann aux idées révolutionnaires, devient dans son adaptation un écologiste végétalien qui roule à vélo. Le point culminant de cette mise en scène est la réunion publique convoquée à l'initiative du docteur Stockmann dans le 4e acte : elle se transforme en discours au public, qui peut lui-même intervenir dans la suite de l'action, avec des réactions souvent imprévisibles selon la ville où se produit la troupe. « Dans cette pièce, je parle de moi, admet-il. L'individu se croit toujours supérieur du point de vue moral. Mais toutes nos convictions ne mènent à rien. Nous n'avons souvent pas assez de courage pour accomplir de véritables actions politiques. » Ses propres contradictions l'intéressent plus que de pointer du doigt un coupable. « Je pense que si l'on se met en question sincèrement, on peut atteindre ne serait-ce qu'une personne dans l'auditoire. »

L'homme de théâtre engagé raconte ensuite une déconfiture personnelle : il n'a pas réussi à devenir un musicien de rock. Il parle de ses « dysfonctions en tant qu'être humain ». Et il montre comment il travaille pour, comme il dit, « trouver le rythme de la vraie vie sur scène ». Pour mettre en pratique ses propos et expliquer le processus qu'il utilise avec ses acteurs, il invite deux personnes de l'assistance à le suivre dans l'exécution de la technique Meisner. Cette dernière, développée par l'acteur américain Sanford Meisner, est différente du Method acting destructif de l'Actors Studio. Elle se base sur un champ d'expression dénué de toute intellectualité. « Think before you act », disait Meisner. Ostermeier s'assoit donc au premier rang et donne ses instructions. Les deux acteurs se font face et doivent réagir l'un à l'autre. L'un décrit l'état d'esprit de l'autre qui s'oppose à cette description. Très vite, cela devient intense. Il y a des rires, des cris et même des larmes. Ostermeier observe. Parfois, il pose des questions. « Elle a dit que tu es sombre, comment cela te touche ? » D'autres fois, il incite à l'action, à la manière d'un entraîneur de football : « Continue, continue, ne pense pas ! »
Poursuivre l'action jusqu'à atteindre un déclic que Thomas Ostermeier cherche toujours. C'est avec ce déclic que se dévoilent enfin sur scène ces moments de vérité qui donnent un sens à sa quête artistique.

 

Parcours

Né en 1968, Thomas Ostermeier a suivi des études de mise en scène à Berlin dans les années 1980. Il s'est fait connaître en devenant le directeur artistique de la Baracke, scène associée au Deutsches Theater entre 1996 et 1999. Il y présente des auteurs contemporains allemands ou anglo-saxons et rencontre un immense succès. En septembre 1999, à 31 ans, il devient codirecteur artistique de la Schaubühne où il poursuit son travail de découvreur de textes nouveaux.
Ostermeier a mis en scène près d'une trentaine de spectacles à partir d'œuvres de dramaturges contemporains comme de textes du répertoire qui connaissent des succès internationaux. Il a développé un théâtre qui interroge l'homme et sa place dans la société.

Thomas Ostermeier a le look prolétaire. Pantalon brun, veste d'ouvrier bleue avec des stylos à bille en sacoche. Et il parle de son travail artistique comme le ferait un artisan en racontant ses créations : directement, franchement et sans fioritures.
C'est la première fois que le metteur en scène allemand de renom vient au Liban. Invité du festival Zoukak Sidewalks, il a animé un...

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