Rechercher
Rechercher

Moyen Orient et Monde - Focus

« Le peuple se sent piétiné et sans aucune valeur »

Lundi 31 octobre au soir, à al-Hoceima dans le nord du Maroc, les rues grouillent de monde. Sur le port, un camion-benne de ramassage d'ordures occupe l'espace. La veille, les habitants de la ville pleuraient la mort d'un des leurs, vendredi, dans ce même véhicule. À 31 ans, Mohcine Fikri avait été interpellé en possession de 500 kilos d'espadon, une espèce interdite à la pêche. Les autorités décident d'agir et dépêchent un camion à ordures pour détruire la prise sur place. L'homme s'y oppose et monte à l'arrière du véhicule, se mettant ainsi en contact avec le mécanisme de broyage. Un témoin filme la scène à l'aide de son téléphone portable, mais les responsables restent non identifiés. Selon des médias marocains, le conducteur du camion aurait activé le mécanisme de compactage tout en sachant que la victime s'y trouvait. « Broie-le », aurait ordonné un policier, une simple phrase qui servira plus tard de slogan dans les rues marocaines.

Décès accidentel pour certains, homicide pour d'autres, les circonstances restent incertaines mais il n'en a pas fallu plus pour mobiliser des Marocains. Pour les protestataires, il y a une seule cause : la hogra, cette humiliation face à l'arbitraire dont ils se sentent victimes, et ils sont bien décidés à s'organiser.
Et pour certains, Mohcine Fikri est devenu un symbole. Le 30 octobre, la vidéo de la mort du poissonnier rifain circule sur les réseaux sociaux. Pour une manifestante d'al-Hoceima, c'est « la goutte d'eau, l'humiliation de trop ». En 24 heures, l'information est diffusée dans l'ensemble du royaume, reflet de ce « journalisme citoyen » dont on craint parfois les effets. Sans forces de l'ordre ni syndicats, les manifestants – les sources officielles parlent de milliers – battent le pavé depuis dimanche dans l'ensemble du royaume pour rendre hommage au weld el-chaab (en français, le fils du peuple).

Moncef, jeune photographe casablancais, filme le mouvement aux allures de cortège funéraire : « Le peuple se sent piétiné et sans aucune valeur », commente-t-il à L'Orient-Le Jour. Parmi les slogans, des allusions à la prochaine conférence environnementale qui se tiendra le 8 novembre à Marrakech : « Au Maroc, nous broyons aussi des personnes. »

 

(Lire aussi : L'enquête au Maroc s'accélère après la mort d'un vendeur de poissons)

 

Réaction politique à géométrie variable
Après la tragédie, on attend désormais la réponse politique. En pleine tournée africaine, le roi Mohammad VI se prononce et diligente le ministre de l'Intérieur Mohammad Hassad pour se rendre auprès de la famille du défunt. Il ordonne une enquête « minutieuse et approfondie » et demande que des poursuites soient engagées contre « quiconque dont la responsabilité serait établie dans cet incident ». Dans un communiqué du 1er novembre, le procureur du roi donne les premiers résultats : il s'agirait d'un homicide involontaire.

De leur côté, les partis politiques sont aux abonnés absents. Le parti islamiste PJD, réélu depuis quelques semaines, appelle à la retenue après ce « malheureux incident ». Un appel qui sonne comme une énième déception, pour une population déjà sceptique à l'égard de la sphère politique. Seuls la Jamaa d'eladl wal'ihsane, la Fédération de gauche démocratique et la Voie démocratique publient des communiqués s'indignant des faits. Une seule figure politique, Nabila Mounib, leader de la fédération de la gauche démocratique, est présente au rassemblement de Casablanca. Une voix qui semble s'élever face au silence des autres partis et hommes politiques.

 

(Pour mémoire : Le Maroc s'interroge : « Qui a écrasé Mouhcine », le vendeur de poisson ?)

 

Organiser l'indignation
Mais après l'indignation et face au retard de la réponse politique, reste l'action civile. Pour Khadija Ryadi, ancienne présidente de l'Association marocaine des droits de l'homme (AMDH), les Marocains se sont identifiés à Mohcine Fikri.
« L'image de ce citoyen broyé par la pelle de la benne d'un camion d'ordures est choquante et dramatique, mais aussi très significative. La relation de l'État (le pouvoir) avec le citoyen est perçue comme cette image », explique-t-elle.
La militante a d'ailleurs pu observer l'évolution des mobilisations depuis 2011. Selon elle, la tragédie illustre le « grand malaise de la société » qui n'en est pas à son premier événement déclenchant la révolte. Selon elle, l'AMDH, de par son ancrage national et son ouverture aux organisations internationales, reste la seule association à même de mobiliser. Son rôle aujourd'hui est de veiller à l'organisation d'un procès équitable :
« Il ne faut pas que les responsables de ce qui s'est passé se cachent derrière des bouc émissaires et bénéficient de l'impunité. » Mais pour Khadija Ryadi, pas question d'établir des comparaisons avec le mouvement du 20 Février et les soulèvements ayant secoué le pays en 2011.
« L'histoire ne se répète jamais, mais les masses mûrissent par ces expériences », conclut-elle.

 

Lire aussi

Soulèvements et guerres au Moyen-Orient ont eu un impact sur l'espérance de vie

Lundi 31 octobre au soir, à al-Hoceima dans le nord du Maroc, les rues grouillent de monde. Sur le port, un camion-benne de ramassage d'ordures occupe l'espace. La veille, les habitants de la ville pleuraient la mort d'un des leurs, vendredi, dans ce même véhicule. À 31 ans, Mohcine Fikri avait été interpellé en possession de 500 kilos d'espadon, une espèce interdite à la...

commentaires (0)

Commentaires (0)

Retour en haut