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Culture - Livres

Le passé fossoyeur du présent...

Bkechtine peut être fière. Après ses pérégrinations à travers le monde, Rafic Boustani revient à ses origines, à sa terre natale, pour la nourrir et teinter ses mains tantôt de boue, et tantôt d'encre noire, avec un ouvrage : « Le Fossoyeur libertin ».

Rafic Boustani renoue avec ses racines en plongeant ses mains dans les bocaux d’olives et dans la terre nourricière.

Bercé par la voix des poètes du village déclamant leur zajal, des sages-femmes accroupies au chevet des femmes en douleur, des khouriyé agenouillées près d'elles en train d'invoquer le Seigneur, enivré par les odeurs des awwamate et des fleurs de jasmin, teinté par les couleurs des cerises venues d'Alep ou celles de grenades pour une kebbé roumaniyé, le premier roman de Rafic Boustani, Le Fossoyeur libertin (aux éditions Dar an-Nahar), traverse les pays du Levant sur trois générations.
De ses pérégrinations à travers le monde, de ses recherches sur la vie d'un Orient du XIXe au XXe siècle, et de son imagination pour dessiner des personnages fictifs mais tellement attachants de véracité, Rafic Boustani nous trace le destin d'une famille levantine à travers Beyrouth, Le Caire et Paris. Un destin comme un éternel retour...
Né en Égypte de parents syro-libanais, Rafic Boustani poursuit ses études universitaires entre le Liban et la France. Après un doctorat en géographie, il intègre les administrations françaises et internationales en tant que consultant en démographie géographique. L'étude de la répartition des populations, les rapports entre les différentes zones le passionnaient déjà. Il élargit ses horizons et décide de créer une banque de données sur les différents pays du monde arabe, en collaboration avec l'Institut du monde arabe à Paris. Le projet meurt avec l'arrivée de Google et de Wikipédia. En 1997, il rentre au Liban pour prendre soin de cette parcelle de terre au Chouf qui a vu grandir ses ancêtres. Rafic Boustani renoue avec ses racines en plongeant ses mains dans les bocaux d'olives et dans la terre nourricière. En teintant ses aubes du rouge des tomates et du vert des concombres, pour enfin s'endormir à l'ombre d'une vigne et se réveiller au son des cloches, devant une page blanche qu'il a hâte de noircir d'histoires en couleurs.
C'est dans ce village de Bkechtine, entre un minaret et un clocher complices, que la demeure de Rafic et de Soha Boustani surgit au bout d'un sentier, entre une farandole d'oliviers et une allée de pins. La charrue du village a tracé des sillons sur sa peau burinée par un soleil bienveillant et le vent du sud a soufflé dans sa chevelure fantasque et a réveillé ses rêves longtemps endormis. Les arbres ont insufflé à ses pupilles leurs secrets centenaires, et la terre lui a chuchoté dans un dialogue nocturne des phrases, des mots et des images qu'il couchera dans son récit, à chaque chant de coq.

Une enfance sucrée
Qui n'a pas eu dans son enfance une cuisinière en train de se disputer avec la gouvernante, l'une préoccupée par sa kebbé arnabiyeh, l'autre inquiète de ne pas finir de ranger la chambre de madame à temps ? Un goûter en tartine ramollie par un labné baignant dans l'huile, accompagnée d'un concombre mal épluché ? Un dîner de parents guetté par l'entrebâillement de la porte d'une chambre à coucher dans laquelle il était contraint de rester ? Qui n'a pas eu dans son enfance un tonton permissif qui vous fait sauter sur ses genoux, vous comble de présents et vous affuble du plus drôle des surnoms qu'il aurait voulu donner à un enfant dont il fut privé ? Ou cette vision traumatisante en forme de trou de serrure, de parents en train de se faire mal, mais de se faire du bien, lorsque la notion de bien à quatre ans se résume à deux boules vanille chocolat et une poupée qui dit non quand on la secoue ? Qui n'a pas eu dans son enfance deux familles, celle qui figure sur l'arbre généalogique et celle qui traîne derrière les fourneaux. Qui jongle entre balais et serpillières, qui arrache les mauvaises herbes du jardin, qui vous conduit à l'école et qui vous lit des histoires avant de dormir ? Ou l'inquiétude de voir le ventre de sa mère s'arrondir anormalement et menacer son indépendance, ses jouets et mettre son trône en péril ?
Voilà comment l'enfance prend son départ, voilà comment Le Fossoyeur libertin prend son élan.

Un destin amer
Ce roman relate l'histoire d'un manuscrit retrouvé trois générations plus tard, celui d'Ernest Bahri, négociant en peaux et célibataire libertin. Une histoire reprise par Élias, son arrière-petit-neveu qui, par un hasard pas forcément heureux, tombe un jour dessus. Une saga familiale qui voyage à travers le temps et les terres, qui nous entraîne du petit village de Bloudane, près de Damas, en 1889, en passant par Le Caire au moment de la grande guerre pour arriver à Paris dans les années folles et enfin revenir au Liban. Une histoire, comme un long et douloureux constat, celui d'un homme qui toute sa vie a provoqué, dicté ou encouragé inconsciemment des choix, des situations, responsable de trois tragédies au sein d'une même famille. Mais aussi celle de l'amour. Celui interdit, ou fabriqué, que l'on dérobe ou que l'on provoque. Celui qui libère ou celui qui emprisonne. Rafic Boustani, qui cite Françoise Dolto : « On n'est pas seulement influencé par notre vécu, mais aussi par celui d'un vécu antérieur », tente de démontrer comment un événement produit avant la naissance peut se répercuter sur plusieurs générations, entraînant culpabilité et malaise. Comment une simple naissance prend la forme d'un péché qui entachera plus d'une vie.

Bercé par la voix des poètes du village déclamant leur zajal, des sages-femmes accroupies au chevet des femmes en douleur, des khouriyé agenouillées près d'elles en train d'invoquer le Seigneur, enivré par les odeurs des awwamate et des fleurs de jasmin, teinté par les couleurs des cerises venues d'Alep ou celles de grenades pour une kebbé roumaniyé, le premier roman de Rafic Boustani,...

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