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Moyen Orient et Monde - Le point

Le crépuscule des généraux

Le ton est grave, la voix nimbée de tristesse. « Nous ne pouvons ignorer le fait que c’est une grande défaite (...). J’assume l’entière responsabilité de cette tragédie (...). J’ai décidé de renoncer totalement et définitivement à toute fonction officielle, à tout rôle politique, pour rejoindre les rangs du peuple et à ses côtés accomplir mon devoir. »
Ce 9 juin 1970 vient de sonner le glas de ce qui devait être une épopée glorieuse de l’histoire des Arabes et qui ne fut en réalité qu’une débâcle, une mascarade de guerre. Et Gamal Abdel Nasser annonça son retrait de la vie publique. Entre-temps, des manifestations monstres éclataient dans plusieurs capitales du Proche-Orient ; on comptera même des morts, des blessés, victimes de leur amour pour le héros déchu. Vingt-quatre heures plus tard, tout sera dit, sur les trois fronts. Mais le raïs reviendra à la tête du pays, un retour qui marque le triomphe dans la défaite.
L’irruption des militaires dans la vie arabe, il conviendrait de la faire remonter à 1949, date du coup d’État de Husni Zaïm, en Syrie. Les putschs qui l’ont suivi – tout comme, brutaux ou effectués « en douceur », certains des changements intervenus à l’époque – se réclament du contre-effet de la « nakba » de 1949. Matériel défectueux (dans le cas de l’Égypte), trahison des dirigeants (le tristement célèbre « ma’ko awamer » irakien), ou incompétence notoire de généraux redevables de leur promotion bien plus à la volonté du seigneur qu’à leurs qualités propres, tout paraissait bon pour justifier les coups de force.
Le souvenir de la cuisante défaite face au nouveau-né israélien s’estompant, le modèle égyptien allait faire des jaloux, sur les rives du Barada dans les années soixante mais aussi ailleurs. Dans le monde arabe, les jeunes officiers venaient de milieux modestes ; ils semblaient les mieux préparés au service public, les plus ouverts à l’idée d’une redistribution des richesses et à la préparation de nouveaux citoyens. Ils avaient surtout – mais cela, le bon peuple ne le constatera que trop tard – une fâcheuse tendance à s’agripper à leurs fauteuils, au prix de maints viols de la Constitution et même des droits de l’homme. Mais le prestige de l’uniforme était tel, et si pures les intentions affichées, qu’on leur pardonnait ces entorses. Jusqu’à ce (trop) célèbre « réveil arabe » tant de fois annoncé et trop souvent reporté, commencé le 17 décembre 2010 à Sidi Bouzid, en Tunisie, et poursuivi en Égypte, au Yémen, en Syrie, à Bahreïn.
Le propre de ce « printemps » est qu’il vise des dirigeants sortis des casernes. Zein el-Abidine Ben Ali est un ancien des services de sécurité, Hosni Moubarak un général d’aviation, Ali Abdallah Saleh un vice-maréchal. Ne pouvant exciper de son diplôme d’ophtalmologue pour succéder à son père, Bachar el-Assad avait dû, pour ce faire, passer par l’académie militaire de Homs et décrocher un grade de colonel, plutôt immérité, ce que l’intéressé feint d’ignorer. Ces hommes étaient jeunes, passaient pour avoir des idées bien plus avancées que celles des aînés qu’ils venaient de dégommer ou auxquels ils succédaient. En témoignent les mesures annoncées à l’époque : réforme agraire, nationalisations, nouvelles institutions, généralisation de l’instruction et des services de santé, modernisation des infrastructures...
Hélas, il y eut aussi, couplés avec cette politique d’ouverture, la répression brutale de tout mouvement d’émancipation, une bureaucratie envahissante, une corruption et un népotisme tentaculaires, l’exode massif d’une jeunesse condamnée au désœuvrement, enfin une inquiétante fuite de capitaux.
Plus encore que le Maghreb, c’est le Machreq qui se tourne désormais vers la Turquie, attiré par l’exemple d’un retour réussi à la vie civile. C’est oublier un peu vite que ce phénomène, né de la montée en puissance du Parti pour la justice et le développement de Recep Tayyip Erdogan, n’a pas connu une éclosion instantanée. Le passage de l’Empire ottoman à la république d’aujourd’hui, après les brèves mais combien marquantes années du kémalisme, a nécessité des dizaines d’années et un travail en profondeur. La transition a même failli capoter à deux reprises, en 1960 puis en 1980, ne parvenant que ces dernières années à atteindre sa vitesse de croisière.
Dans le bouillonnement qui marque la phase présente, que l’on veut bien croire décisive, où en est-on ? Certes, le soulèvement de la rue qui accompagne la valse des généraux a de quoi donner le vertige et autorise tous les rêves. Pourquoi dès lors ne pas se prendre à espérer en des lendemains qui verraient la démocratie installer ses pénates en terre arabe, elle qui jamais par le passé n’a connu ces contrées ?
Sans doute est-ce par crainte d’un trop brutal réveil.
Le ton est grave, la voix nimbée de tristesse. « Nous ne pouvons ignorer le fait que c’est une grande défaite (...). J’assume l’entière responsabilité de cette tragédie (...). J’ai décidé de renoncer totalement et définitivement à toute fonction officielle, à tout rôle politique, pour rejoindre les rangs du peuple et à ses côtés accomplir mon devoir. »Ce 9...

commentaires (2)

Il est facile de recruter mille soldats, mais il est difficile de trouver un général parmi les colonels. Ainsi on comprend pourquoi les généraux sont si bêtes surtout dans les pays arabes des hommes choisis toujours parmi les plus complexés des couches de la population. Antoine Sabbagha

Sabbagha Antoine

04 h 54, le 21 février 2012

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Commentaires (2)

  • Il est facile de recruter mille soldats, mais il est difficile de trouver un général parmi les colonels. Ainsi on comprend pourquoi les généraux sont si bêtes surtout dans les pays arabes des hommes choisis toujours parmi les plus complexés des couches de la population. Antoine Sabbagha

    Sabbagha Antoine

    04 h 54, le 21 février 2012

  • Ah les généraux ! C'est fait pourquoi les généraux ? Une bonne réponse est celle, "générale", en Amérique du Sud, qu'ils ont terriblement traumatisée avec leur bien stupide dictarure : Durant leur carrière militaire, c'est fait pour rester dans leurs casernes et ne jamais s'occuper de politique. A la retraite, c'est fait pour rester en pyjama sur leur balcon. Les généraux arabes alors !!!

    Halim Abou Chacra

    23 h 46, le 20 février 2012

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