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Lifestyle - Portraits croisés

La seconde vie d’Edgard Chaya

Il est passé des affaires à l’artisanat avec une facilité déconcertante. Edgard Chaya a redonné au « blatt » ses couleurs et ses titres de noblesse. En retour, il s’est accordé une nouvelle jeunesse...

Edgard Chaya, artisan à sa manière. Photo Carla Henoud

Une fine moustache blanche dans un visage qui prend toutes les belles expressions de la maturité, de petites lunettes soulignant un regard très vif, des bretelles légendaires, la casquette blanche du marin et un reste de cigare ou une pipe à la main, Edgard Chaya porte le tablier avec une élégance naturelle.


Vert, son bleu de travail « bio », estampillé d’un logo BlattChaya qu’il brandit fièrement, le « gentleman farmer » ne consomme que des légumes et des fruits plantés par ses soins. Cette passion pour la mosaïque, qui l’a emporté il y a une douzaine d’années dans une incroyable aventure, s’est transformée en un véritable métier, dont le savoir-faire a atteint Vienne, Berlin, Boston et Dubaï.


Son bureau chargé de photos de ses enfants et petits-enfants, les exploits des uns et les succès des autres s’affichent au mur auprès des derniers carrés de mosaïque exécutés à l’usine.
Dans une autre vie, Edgard Chaya était un changeur reconnu sur la « place financière », en dépit d’études de droit qu’il avait entreprises. « Ma mère, confie-t-il, avait voulu que je travaille durant ma première année. J’ai aimé. » Et comme les choses passent visiblement souvent par le cœur pour ce charmant monsieur de 83 ans, le changeur improvisé apprend le métier sur le terrain, ouvre ses propres bureaux, quatre en tout, et crée le syndicat des changeurs dont il est président à vie. Ses enfants ayant chacun suivi son propre chemin, Maxime a escaladé les 7 plus hauts sommets du monde, Caline monte des concepts de restaurants et Karim bouscule avec talent le monde du design industriel au Liban. « J’ai tout vendu et je me suis retiré ! »


Au bout de deux ans, comme il aime à le raconter, « le repos m’a fatigué ! ». Ayant retrouvé un vieux carton chez une cousine à lui, il fouille, perplexe, et récupère un tas de ferrailles qui n’étaient que des moules de mosaïque cassés. Curiosité, passion immédiate, « je vais faire ce que mon grand-père et arrière-grand-père faisaient ! » (se) lance-t-il.

Une histoire de famille
Car la folle histoire de BlattChaya remonte à 1881. Andraos ouvre une usine à Bourett Chaya, autrefois située à la place du Grand Théâtre au centre-ville. Au grès des années, la main passe à Tannous, le grand-père, puis à Lyenn, l’oncle d’Edgard, pour finir avec son cousin Nasri. À la mort de ce dernier, fin des années 40, l’usine, alors installée au secteur du port, ferme ses portes sur un travail à la fois technique et artisanal. Lorsque Edgard décide de reprendre la main, il ne savait rien de l’abrasion, la flexibilité et l’absorption de la matière. « Le goût de ce travail est venu plus tard. Je faisais ça pour m’amuser, avant que des amis ne me lancent l’idée de le prendre plus au sérieux. Il m’a fallu 4 ans pour apprendre comment on enlève les moules sans que les couleurs ne s’entremêlent. » À présent, il ne cesse de se perfectionner, de se renouveler, et tous les 6 mois, ce maître ès blatt fait l’inspection de ces normes au laboratoire de l’AUB. « Rien ne vaut le carreau Chaya ! Je le dis sans prétention, mes carreaux ne se font nulle part au monde. »


Dans son usine intimiste, les ouvriers travaillent, comme des artisans nostalgiques de la qualité d’antan, pour ressusciter le passé de ces splendides maisons libanaises en voie de disparition ou pour exécuter les motifs des clients ; certains demandent des copies de motifs, d’autres des créations. « Chaque pièce que nous produisons est unique. C’est un travail manuel et humain. D’où ces petits défauts, je les appelle des caprices, que j’aime. »
Aujourd’hui, la relève est assurée. Caline et Karim évoluent dans l’usine auprès d’un père inventif et fou de la matière, des formes, de la qualité de ses mosaïques à qui il donne des noms de villes et de villages libanais, en respect d’un patrimoine qu’il tient à perpétuer.


Son rêve ? Long silence, puis une réponse : « Des souhaits... » Parmi ces souhaits de bonne santé et de petits bonheurs, celui, plus immédiat, de réussir à convaincre la municipalité de Beyrouth de créer une loi qui obligerait chacun à faire, comme il l’a fait lui-même, une terrasse fleurie et plantée de vergers pour que les employés puissent manger sainement. « Beyrouth, surchargée d’immeubles, est devenue une ville béton.
Il n’y a plus de jardins. Je propose, avant de délivrer un permis de construire, d’obliger les propriétaires à faire une terrasse-jardin pour que ce qui n’existe plus “en bas” puisse exister en hauteur. Regardez comme c’est beau... » dit-il en montrant cet espace qui fait complètement oublier que nous sommes au cœur de Dékouaneh la grise.
Puis il remet sa casquette et repart, un étage plus bas, griffonner sur son cahier de nouvelles esquisses de motifs qui embellissent, à leur façon, une ville et sa mémoire.


Une fine moustache blanche dans un visage qui prend toutes les belles expressions de la maturité, de petites lunettes soulignant un regard très vif, des bretelles légendaires, la casquette blanche du marin et un reste de cigare ou une pipe à la main, Edgard Chaya porte le tablier avec une élégance naturelle.
Vert, son bleu de travail « bio », estampillé d’un logo...

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