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Culture - Concert

Envoûtante prestation d’Orazio Sciortino au clavier pour Verdi et Wagner

Les voûtes et les rosaces de l’Assembly Hall (AUB) ont résonné sous les charges répétées au clavier des doigts d’Orazio Sciortino. Moment exceptionnel de beauté et de sonorité où, sans les houles orchestrales, les voix de Verdi et de Wagner ont retenti avec éclat sur les touches d’ivoire.

Virtuosité et culture pour le jeu d’Orazio Sciortino. Photo Hassan Assal

Sous le patronnage du Centre culturel italien de Beyrouth et devant une salle comble jusqu’aux dernières rangées, le jeune maestro Orazio Sciortino a officié, en toute virtuosité, devant un piano habité brusquement de tout le lustre, la magnificence et la féerie du monde lyrique.
Cheveux coupés ultracourt, sanglé dans un costume sombre anthracite slim and fit, le regard bleu porcelaine, le visage émacié à la grâce des portraits des jeunes gens du Quattrocento, le pianiste avait toutes les allures d’un elfe aux doigts d’or, d’une souplesse et d’une agilité à couper le souffle... Et il fallait avoir ces atouts-là pour un programme qui sort des sentiers battus et ouvre toutes grandes les vannes et les orgues du clavier.
Pour le bicentenaire de Verdi et de Wagner, à qui un hommage était rendu ce soir-là, un menu concis mais d’une exceptionnelle originalité. Tous les amateurs du clavier et de l’art lyrique vous le diront. Des partitions pour somptueuses envolées orchestrales, déchaînement des cordes, souffle des instruments à vent, éructations des cuivres et résonance de percussions, les petite et grande caisses étaient emprisonnées dans l’espace noir et blanc des octaves des touches d’ivoire et l’amplitude des pédales, vedettes non conventionnelles, lâchées ici à brides abattues...
Derrières ces transcriptions délicates et ardues, le génie pianistique de Franz Liszt (pour la partie Verdi) et Tausig pour Wagner, à qui il a dédié toute sa vie ou presque; et tout juif qu’il était, finit par gagner la confiance et l’amitié du maître, celui qui repose aujourd’hui à Bayreuth...
Le rideau des notes se lève sur un Jérusalem des Lombardi de Verdi, d’une douceur éolienne. Comme des vagues qui battent la grève, les accords s’embranchent en une harmonie ample et majestueuse, donnant à la lenteur une majesté de paysage de terre promise, apaisant et chaleureux. Suivent, plus véhémentes, en thème éminemment romantique, les Réminiscences d’Ernani. Troubles du cœur et des souvenirs selon un tempo passionnel verdien à qui le piano restitue toute sa force narrative et sa gravité contemplative.
En grandes ondes chargées de piété et empreintes d’un certain mysticisme, tout en vouant des sentiments de vengeance, s’échappent les prières d’un vibrant Miserere du Trovatore.
Pour terminer la phase et les pages Verdi, toujours sous la férule lisztienne, une sinueuse paraphrase de Rigoletto. Premières mesures nerveuses, précipitées, haletantes, sardoniques, et puis les sonorités se répandent en un tourbillon de mélodies suaves et fluides à travers une kyrielle de notes sautillantes, vives et joyeuses.
Des arpèges ruisselants comme les feuilles d’automne qui jonchent le sol aux embardées éruptives de la passion ou la colère des sentiments mal contenus, le piano a ici toutes les voix, toutes les tendresses, toutes les plaintes, tous les détonnements et tous les timbres. Même si certains chromatismes n’en finissent pas et leurs ourlets ne sont pas toujours impeccables. Cela arrive. Et aux plus grands. Cela arrive devant tant de précipitation, tant d’orage, tant de flots qui sautent sous la pression.
Sans entracte, des fantaisies et variations verdiennes, passage à Wagner avec le Finale de Valkyrie. Vertige des phrases qui vrillent le cœur et se répandent comme des eaux mugissantes qui montent en larges et lourdes nappes envahissantes à qui plus rien ne résiste.
Pour prendre le relais, toujours de Wagner, le Liebestod d’Isolde. Et mourir d’amour... Pour un moment où Yseult quitte la vie, voilà qu’on parle de transmutation, d’accomplissement, d’arrivée à la fin d’un cycle déterminé, une véritable montée au ciel. Et c’est cela que le piano murmure, suggère, décrit. Un passage d’une extrême beauté à qui Orazio Sciortino accorde, en touches subtiles, toute l’irisation, la densité et l’impalpable fluidité.
Apothéose d’une cavalcade de notes en feu pour terminer avec la Chevauchée fantastique des Walkyries. On oublie les propagandes nazies qui ont dévoyé ce prélude de l’acte III de cet opéra, on oublie les images d’Apocalypse Now de Coppola, pour ne garder que l’essence musicale d’une mythologie germanique au chant pur, puissant et incantatoire.
Salve d’applaudissements d’un public totalement sous le charme et l’emprise d’un pianiste au talent mêlant vaste culture, force magnétique dans le jeu, sensibilité et indéniable présence.
Mais le bis n’était guère à la hauteur de l’attente. Après ce fastueux épisode verdien et wagnérien, en fermant abruptement les portes de l’histoire et les coulisses de l’art lyrique, le fox-trot servi, malgré sa bonne humeur et ses tonalités joviales et émoustillantes, a donné l’impression d’une fausse sortie ou d’une chute du haut d’une falaise. Un Adolfo Fumagalli revisitant Verdi aurait certainement été mieux venu et plus dans le cadre des images sonores évoquées, encore omniprésentes à l’ouïe et à l’esprit ...

*Orazio Sciortino donnera aussi un concert à l’AUT à Jbeil, à 19 heures.
Sous le patronnage du Centre culturel italien de Beyrouth et devant une salle comble jusqu’aux dernières rangées, le jeune maestro Orazio Sciortino a officié, en toute virtuosité, devant un piano habité brusquement de tout le lustre, la magnificence et la féerie du monde lyrique. Cheveux coupés ultracourt, sanglé dans un costume sombre anthracite slim and fit, le regard bleu...

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