Sur cette page, l’on peut voir des centaines de petits bijoux de photos, allant de celle représentant Bab Idriss en noir et blanc, à une autre montrant un troupeau de vaches broutant un terrain vague du côté de Raouché, ou encore celle du cendrier rouge sang de l’hôtel St-Georges, des volets turquoise de la rue Allenby, du passage racé d’une Cadillac jaune rue des Martyrs, du balcon du café Hajj Daoud...
Chaque jour, un petit concours fait le bonheur des visiteurs virtuels. Ils doivent reconnaître, sur la photo postée par le maître des lieux, quels sont les personnalités ou les endroits qui y sont représentés.
La page compte également sur les ajouts des nostalgiques invétérés, comme Mohammad Beydoun ou Gaby Daher, le collectionneur et auteur du fameux ouvrage intitulé Le Beyrouth des années 30. Parmi les commentaires les plus fréquents : « Wow, ya reit byerja3o hall iyyem » (ah si ces jours pouvaient revenir) ou encore « Di3an hal balad » (quel dommage pour ce pays).
Mais ce n’est pas uniquement par sentiment de nostalgie envers une époque révolue que Imad Kozem a construit cette page Facebook. Il cherche surtout à immortaliser des traces d’un Beyrouth qui s’envole en poussières.
« Regardez autour de vous, la ville est en pleine mutation, affirme Kozem. Sur le plan urbain, mais aussi géographique, démographique et social. Ces vieilles demeures, ces endroits mythiques comme les cafés de la rue Hamra, les plages du St-Simon... Pourquoi efface-t-on si cruellement la mémoire de notre pays ? »
Tout cela a créé un sentiment d’urgence et de dégoût chez le jeune homme. « Le changement est irréversible, affirme-t-il. Je me suis mis alors en tête un challenge. Celui de montrer aux Libanais, d’ici et d’ailleurs, des générations passées et présentes, mais aussi à tous ceux qui y seraient intéressés, le vrai visage du Liban, avant la façon horrible dont il a été défiguré durant les années de guerre et qu’il subit encore et toujours, d’une manière sans doute plus impitoyable aujourd’hui. »
L’absence d’ouvrages sur la période dite « âge d’or », des années 60 et 70, l’a poussé à aller plus loin. À vouloir « construire » un ouvrage encyclopédique, de quelque 450 pages, répertoriant des images de l’âge d’or du Liban.
Un beau livre, de « coffee table », comme disent les Anglo-Saxons, dont les recettes de vente iront à Tamanna, une association caritative ayant pour but de concrétiser les rêves des enfants atteints de maladies graves.
Pour réaliser son objectif, Imad Kozem a écumé les archives des journaux, et notamment celles de L’Orient-Le Jour, de 1965 à 1975. « J’ai épluché les feuilles une à une. Les publicités, surtout, illustrant à merveille le way of life de l’époque. » Il a frappé à la porte du ministère du Tourisme et réussi à obtenir, à force d’assiduité et de persuasion, plusieurs documents valables, notamment de la collection de photographies réalisées par l’Italien Fulvio Roiter.
Mais Imad Kozem a été aussi sur le terrain. Il s’est infiltré dans les ruines des Caves du roi, dans les sous-sols de vieux hôtels en ruine, tel un détective flairant les indices. Il est allé chez des particuliers, des amis, des personnalités, des collectionneurs, des archivistes, des descendants de propriétaires d’anciens restaurants, hôtels ou cinémas... Résultat de la chasse aux souvenirs : 34 440 photos sur son disque dur.
« J’ai eu le même sentiment que les archéologues en fait, s’extasie Kozem, patron par ailleurs d’une grande boîte d’informatique. Celui de pénétrer un univers révolu, de retourner dans le temps. »
Idem pour les visiteurs enchantés de découvrir un Beyrouth, un pays disparu ou qu’ils n’ont jamais connu.
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