Lumière sur un parcours sinueux, tortueux et torturé où, dès 1967, Beledian quitte Beyrouth pour Paris. Études à la Sorbonne et carrière dans le journalisme. Du premier essai sur Hagop Ochagan au premier recueil de poésie, il n’y a qu’un pas. En 1976, dans un Liban encore sous le fracas des armes et sous le joug de la violence paraît, en langue arménienne, un recueil de poèmes intitulé Topographie pour une ville détruite. Titre explicite sur une guerre et une terre en conflit et en rupture. Et suivront, presque régulièrement, sept autres ouvrages dans la même veine d’inspiration où lyrisme, amour des mots, force des images et poésie prennent les rênes du pouvoir.
On cite volontiers dans ce sillage, Lieux (1983) et Mantras (2010).
Mais, par ailleurs, Beledian se penche aussi sur d’autres poètes et décortique leurs écrits. Essais sur le Parnasse moderne à placer au même rayon : Drame (1980), Le cercle de feu (1988), Cinquante ans de littérature arménienne en France : du même à l’autre (2001) et Le futurisme arménien (2009) avec des incursions du côté de Daniel Varoujean (poète mort en 1915) et de Grégoire de Nareg, piliers de la pensée du pays de Sayat Nova. Tout en regardant de près, à travers la loupe de l’analyse littéraire, l’œuvre de certains poètes français dont J.Y Bonnefoy et Francis Ponge.
Féru de peintures et ami des peintres, il consacre des études, entre autres, sur l’œuvre d’Assadour et de Dadourian. Mais son œuvre majeure reste sans doute cette immense fresque sociale qui le ramène aux odeurs, saveurs mais aussi douleurs, tourmentes et angoisses de l’enfance.
Tumultueux cycle de récits autobiographiques de mille cinq cents pages où témoignage, fiction, souvenirs et réalité s’imbriquent étroitement. Dans une narration proustienne qui distille événements, faits et portraits de divers personnages. Par le biais d’une langue arménienne empruntant beaucoup à la tradition orale ainsi qu’aux finesses et subtilités d’un style raffiné et recherché, ces récits, poupées gigognes qui se laissent pourtant lire indépendamment les uns des autres, s’intitulent Retour de Nuit. Ils font revivre le quartier de Karm el-Zeitoun à Achrafieh entre 1945 et 1965.
Ce touffu cycle romanesque (édité à Los Angeles, il fait aujourd’hui, outre l’objet d’une traduction en français, celui d’une édition intégrale chez Sargis Khatchens-Printinfino à Erevan) a bouleversé le paysage littéraire arménien de la diaspora et en a profondément renouvelé l’ampleur, la teneur, les échos et la résonance.
Outre la traduction pour le premier volet Semer (Seuils) racontant les premiers arrivants après le génocide, attendent les six autres volumes dont Harvatze (Le cou), Nichan (Signe), Batkere (L’image), Yergoug (deux), Cherchtoume (Le Renversement) pour révéler un microcosme d’une société entre vécu de guerre, exode, intégration sociale et aspiration à une vie nouvelle et harmonieuse. Des souks de Beyrouh à Mme Barsenig brûlée à Mouch, en passant par les conflits du photographe Seto à La Quarantaine, l’auteur « vit la vie des autres et témoigne à partir de témoins eux-mêmes aujourd’hui disparus. « De toute façon, dit Beledian, il fallait que notre vie arménienne libanaise soit écrite quelque part... »
Cette tranche de vie, exil et exode, est aujourd’hui, avec son flot d’images amères, dans les livres. Beledian, cet « odar » (étranger), dit : « Je reste définitivement un exilé car tout Arménien de la diaspora est deux. C’est une identité plurielle, stratifiée, sans cesse en évolution. Dernier souhait avant de clore cet entretien ? Que mes livres soient traduits en arabe... »
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