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Liban - Interview

L’archimandrite Basilius Antoine Génadry, missionnaire pendant 22 ans auprès des tribus chrétiennes de Jordanie

L’archimandrite Basilius Antoine Génadry, résidant à Toronto, récemment décoré par le gouverneur général du Canada, revient sur l’histoire des tribus chrétiennes de Karak, en Jordanie, qu’il a accompagnées pendant 22 ans.

L’archimandrite Basilius Antoine Génadry, de passage au Liban, revient sur sa mission auprès des tribus chrétiennes de Jordanie.

 

Il est des vies qui gardent, au fil de leur passage, des empreintes propices à la réflexion, peut-être aussi au changement, mais que l’on enterre souvent avec l’achèvement de ces vies. Il a fallu l’octroi à l’archimandrite Basilius Antoine Génadry par le gouverneur général du Canada de la médaille du jubilé de diamant de la reine Elizabeth II, pour que soit valorisée « sa contribution à la société canadienne », dans le prolongement de ses années passées préalablement auprès des tribus chrétiennes de Jordanie (voir par ailleurs). De passage récemment à Beyrouth, l’octogénaire, parfaitement lucide, a accordé une interview à L’Orient-Le Jour. Le temps de revenir, avec une exactitude des dates et une clarté des souvenirs, sur son enfance, ses études, ses vingt-deux années passées en Jordanie et son établissement au Canada.


Son choix de devenir prêtre est mieux assimilable à une vocation, dont « les jésuites ont mis la graine », et qu’il investira dans une perception intime, jamais populaire ou facile, de la foi chrétienne. Élève de Notre-Dame de Jamhour de 1930 à 1937, il a répondu à l’appel des « pères blancs venus en septembre 1937 réunir les élèves désirant poursuivre leurs études à l’école Sainte-Anne de Jérusalem ». Faute de place au sein de l’établissement historique, il sera reconduit au séminaire des pères paulistes, où il suivra ses études pendant treize ans, jusqu’à la prêtrise. Ces études classiques, qui prépareront ses deux ans de philosophie, à l’issue desquelles il portera, en 1952, son habit ecclésiastique, avant d’entamer ses quatre ans de théologie au Grand Séminaire, seront marquées par la date charnière de 1948. La guerre judéo-palestinienne n’épargnera pas l’école Sainte-Anne, qui sera touchée par des obus de mortier, incitant le séminaire à prendre un siège temporaire au village de Riyak (Baalbeck-Békaa), là où quelques casernes avaient été établies par le gouvernement français.


De ces mois passés dans les étendues de la vallée libanaise, entre des habitants endurcis par le labeur de la terre et enracinés dans des conventions de nature tribale, Antoine Génadry ne paraît pas retenir des souvenirs marquants ayant pu préluder à sa vie auprès des tribus chrétiennes en Jordanie, initiée quelques mois plus tard au gré d’un hasard : de retour à Jérusalem en septembre 1949, le diacre est ordonné prêtre à l’église grecque-catholique de l’Étoile, le 2 juillet 1950. Répondant au « besoin de prêtres en Jordanie », il suivra l’archimandrite grec-catholique à Amman, où il servira, pendant deux mois, « les lieux qui manquaient de prêtres ». Un manque ressenti auprès des tribus de la ville de Karak (le krak des Chevaliers), où il sera désigné ensuite pour servir sous la direction du père Joseph Bitar.

« Comprendre, pour éviter les bêtises »
Son long parcours en Jordanie est alors mis sur les rails. C’est à cette époque de sa vie que le jeune prêtre est « initié à la mentalité bédouine par le père Bitar qui servait tout le sud de la Jordanie ». « J’étais de mentalité libanaise et européenne, et la mentalité bédouine me renvoyait à l’an 3000 avant Jésus-Christ », reconnaît aujourd’hui l’archimandrite Génadry, dont l’image du jeune novice persiste, en dépit de sa profonde compréhension acquise des traditions bédouines. « Il m’a fallu comprendre de prime abord des lois nécessaires pour ne pas commettre de bêtises », relève-t-il avec une teinte d’humour contenu.


« Le passé glorieux dont sont imprégnés les Bédouins les différencie des Gitans », observe-t-il de prime abord. Ce qu’il faudrait retenir de l’historique des tribus chrétiennes de Transjordanie, dont une grande partie s’est sédentarisée au XIXe siècle à Karak (il cite notamment les tribus de Smakiyé ; Hjezine; Halasa ; Békaïne ; Mdaanaat et Ksous), est d’abord leur origine : « Les chrétiens du Moyen-Orient sont restés en Arabie saoudite jusqu’au XIIIe siècle », souligne l’archimandrite, qui revient sur « la multiplicité d’églises et de monastères qui parsemaient le sud de l’Arabie saoudite, même après l’émergence de l’islam ». « C’est probablement entre le XIIIe et le XIVe siècle, avec le retrait des croisades, que les chrétiens seront persécutés », scellant l’exil des Arabes chrétiens de Najran – ville d’Arabie, frontalière du nord du Yémen – notamment vers le sud de la Jordanie.

Pratiques tribales et chaleur spontanée
« D’autres chrétiens s’installeront en Turquie, dans les environs de Mardin, séduits par les pâturages »... Mais tous porteront en eux leurs coutumes, comme une seconde nature où l’identité religieuse n’est que subsidiaire, sinon stérile.
Il faut savoir que l’expansion et le renforcement des tribus s’articulaient traditionnellement autour du paiement de la « razia » (impôt tribal versé au vainqueur par le vaincu), et jamais le fanatisme n’a motivé les victoires. « Le Bédouin n’est pas fanatique en religion, mais d’aucuns l’ont plus tard fanatisé », relève l’archimandrite Génadry. Il se souvient par exemple de la chaleur spontanée de l’accueil réservé aux prêtres à Karak (la ville comptait sur ses 8 000 habitants en 1935 1 500 chrétiens ; les massifs environnants abritaient par ailleurs 5 000 chrétiens, selon les chiffres de Wikipédia). Il relève néanmoins « un revirement », au niveau de la région dans son ensemble, ressenti vers la moitié des années 50 lorsque, sous l’influence de dignitaires fanatiques, comme par exemple l’imam de Homs à Hama, « certains enfants nous poursuivaient avec des pierres ».


Mais ces altérations au vivre-ensemble n’ont pas affecté outre mesure les pratiques tribales. « Quand les Bédouins s’engageaient dans des batailles ou des différends, le concept de tribalité était toujours prédominant : des chrétiens et des musulmans pouvaient s’allier contre des musulmans, puisque le seul lien qui comptait était celui des amitiés ou inimitiés héritées des aïeux. »
C’est ce terrain qui constituera un terreau fertile à l’éducation religieuse des tribus chrétiennes, en vertu d’une seule directive : l’épanouissement de l’homme.
Aujourd’hui établi à Toronto, Mgr Génadry observe de loin « un Liban moderne qui désire le rester », quand bien même il serait aux prises avec des pratiques tribales dénaturées par un fanatisme, aux motifs politiques, qui s’y greffe artificiellement.

 

 

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