Tintin en Belgique

Fantasmer l’œil ensoleillé ou la non-pipe de Magritte. Fantasmer Jef ou les suivants de Brel. Fantasmer les angoisses dostoïevskiennes de Michaux. Fantasmer les jambes et les aces de Kim Clijsters. Fantasmer la pureté diabolique d’une chemise blanche Margiela. Fantasmer un Tournesol pétrifié d’érections honteuses devant une Castafiore plus trav que jamais chez Hergé. Fantasmer l’architecture de la grammaire de Grevisse. Fantasmer la moue Bardot, le QI en plus, de Cécile de France dans un Klapisch. Fantasmer, éternellement, la Rosetta de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Fantasmer l’endorphine secrétée entre chacun des mots/maux de Simenon. Fantasmer la soie sauvage violette d’un gilet Ann Demeulemeester. Fantasmer les vibratos d’Adamo et les flammes d’Arno. Fantasmer un nœud papillon en strass et dentelle autour du cou d’Elio Di Rupo. Fantasmer le volant de Jacky Ickx qui prenait des angles fous. Fantasmer parce que Raymond Devos, Philippe Geluck, Annie Cordy, Dries Van Noten, Natacha Régnier, Justine Hénin ou Raf Simons. Fantasmer la reine Mathilde, héroïne hitchcockienne comme rarement, qui trouverait un moyen de faire abdiquer son Philippe adoré pour prendre sa place, Red Queen/White Queen plus Lewis Caroll sous lithium que jamais, à la conquête du pays plat. Fantasmer le roi Philippe, son éventuelle transfiguration qui ferait de lui le véritable sauveur de tout un peuple, de ces deux nations en faïence – mais pour cela, il faudrait un choc, une dystopie, que Bart de Wever, par exemple, se transforme férocement en Hassan Nasrallah ; qu’un autre et sinistre Hezbollah éclose après, par exemple, avoir phagocyté le N-VA ; que le Luxembourg déclare la guerre. Fantasmer, en somme, la Belgique. Fantasmer cette Belgique sublime qui, dans toute sa platitude, cache cent et une vallées, cent et un pics, cent et une fêlures, cent et un creux, cent et une merveilles. Fantasmer cette Belgique qui va finir par se fracasser la gueule tellement, lentement mais sûrement, elle se libanise. Fantasmer une gémellité, une consanguinité entre cette Belgique et ce Liban, ces deux pays-messages, ces ersatz de nation(s), victimes, toutes proportions gardées, de leurs richesses mais aussi de leurs guerres, et de celles des autres sur leur territoire, hier pour elle, aujourd’hui pour lui. Fantasmer un médicament miracle trouvé à Bruxelles, immédiatement cloné à Beyrouth – l’inverse est méchamment improbable. Fantasmer et voir des Belges accepter l’autre et des Libanais... accepter l’autre. Fantasmer une Belgique du Moyen-Orient, un Liban de l’Europe. Fantasmer une synergie. Fantasmer un nouvel élan, là-bas comme ici. Fantasmer cette grande sœur qui, une fois ses blessures cicatrisées, viendrait recoudre son petit frère. Fantasmer une famille : cette Belgique et ce Liban aux infinis plus petits dénominateurs communs. Là-bas, le roi a décidé de prendre sa retraite, vive le roi : vite, qu’ici, les innombrables roitelets, rachitiques, s’en inspirent.

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