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Culture - Spectacle

Au théâtre comme à la vie, « Notre jeunesse » se révolte

La compagnie française « Du zieu dans les bleus » a présenté au Tournesol, sur trois soirées, sa dernière création intitulée « Notre jeunesse » ou un constat douloureux de justesse sur le syndrome de l’adolescence aiguë dont souffrent les jeunesses paumées.

Au théâtre, comme à la vie, cette pièce possède toute la fraîcheur, l’innocence, la violence liées à l’adolescence.

Notre jeunesse, un spectacle conçu par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, avec Laurence Claoué, Laure Giappiconi, Cédric Michel, Florian Onnein, Conchita Paz et Charly Totterwitz, a été construit comme on bâtit une tour de Babel, à force d’histoires et de bribes collectées par-ci, par-là. Le texte est en effet né après un cycle de six petites formes théâtrales sur l’adolescence, montées par la compagnie à partir de nombreuses rencontres, espaces de dialogue et de réflexion, avec des adolescents dans plusieurs régions de France. Ces études ont été ensuite jouées dans des lieux publics. Chaque étude a permis d’aborder, à travers le dialogue entre deux interlocuteurs, des thématiques comme l’amour, l’économie, l’histoire, la vanité, le courage, la liberté...
Des thématiques universelles et intemporelles. Ce qui a d’ailleurs fait dire à Olivier Saccomano que cette pièce «est une pièce historique parce que l’idée, c’est de se détacher, par l’écriture et par le jeu, de nous-mêmes et de lancer d’abord, à la surface du plateau, certains masques de notre époque». Et de préciser: «Il est beaucoup plus difficile d’apercevoir les codes de notre temps que ceux du passé. Et pourtant, ils sont là, ils nous guident spontanément, orientent nos mains et nos yeux, donnent un grain à nos voix, un tempo à nos phrases, une coupe à nos vêtements. Ils portent une idéologie que l’habitude a fait passer pour une nature. Faire apparaître notre présent comme historique, c’est le dénaturaliser.»
Le dramaturge pose des repères, des références littéraires et cinématographiques, comme Pialat ou Van Sant. Parce que le cœur de la pièce travaille une zone sociale que les sociologues appellent la «classe moyenne pauvre», celle qui se tient aujourd’hui en un point d’équilibre instable (économiquement, politiquement), celle qui est au bord de basculer dans le vide, celle qui peut renverser l’ensemble. Il pense aussi à Tchekhov et à Beckett, «à cause du lien qu’ils travaillent entre le détail, le singulier, et l’universalité qui subvertit la peinture “sociale”». Et parce qu’ils travaillent, tous, dans leur époque, avec leur époque, contre leur époque.
Historique donc, cette jeunesse avec, pour colonne vertébrale, le thème de l’adolescence, traité ici comme un symptôme des sociétés occidentales.
Qui dit adolescence dit rébellion. Qui dit rébellion dit révolte. Dit aussi un état de mal-être général, un état de changement, de besoin d’affirmation de soi, de découverte. Un moment critique où nous passons de l’enfance à l’âge adulte.
Au théâtre, comme à la vie. Dans le fond comme dans la forme, cette pièce possède toute la fraîcheur, l’innocence, la violence liées à l’adolescence. Toute sa fragilité aussi.
«Si l’adolescence est sans doute l’âge de la désorientation, en même temps que l’âge des engouements changeants, l’âge de la critique en même temps que celui du conformisme, l’âge d’une radicalité en même temps que celui d’une exposition aux sollicitations marchandes... peut-être le mot adolescence porte-t-il les contradictions de notre temps?» expliquent les créateurs. «Que fait le théâtre de ces nouvelles contradictions? Souvent, elles sont intégrées dans le monologue intime (qui dit les douleurs et les espoirs de l’individu se cognant au monde) ou orchestrées et diluées en polyphonies dans des chorales anonymes (qui chantent l’air du temps). Les contradictions ne sont plus recueillies dans le dialogue. La forme du dialogue est-elle périmée? La forme du dialogue a-t-elle été absorbée dans la nouvelle morale de la compréhension, du droit d’expression et du débat démocratique?»
Autant d’interrogations qui filtrent à travers l’histoire des huit personnages campés avec une justesse confondante par six acteurs doués. L’histoire se déroule dans la banlieue d’une grande ville. La scénographie, qui a recourt en grande partie à des écrans ultrafins où sont projetées en permanence des images d’immeubles HLM, de scènes d’intérieur, ou de projections qui se télescopent avec l’action à tel point qu’on se demande si ce que l’on voit sur ou derrière l’écran est réel ou virtuel.
Sur les planches? Un jeune fugueur en puissance qui a choisi le mutisme face à l’hystérie grandissante de sa mère. Son ami, qui s’adonne aux drogues pour arrondir les angles de sa vie trop rugueuse de fils d’immigrés russes. Une jeune lolita farouche et incomprise, qui materne sa mère, une dépressive cynique qui «nettoie la saleté du monde». Et son amie, standardiste formatée et menteuse, paumée et désespérée. Il y a aussi le policier qui pique une crise de nerfs magistrale parce qu’il est en manque de nicotine et qui stresse à l’occasion des festivités du 14 Juillet.
Dans la pénombre de ces scènes (intimistes) domestiques, le public assiste en témoin indiscret de leurs déboires, à l’instant où tout peut encore se jouer. Des scènes, parfois très sombres, émane la sensation de voir une adolescence telle qu’elle est dans le souvenir, au milieu d’une sorte de brouillard qui, à la fois, l’idéalise et la radicalise, comme dans un conte. Ce n’est sans doute pas un hasard si Aziz, le fou sage et alcoolique, ne tarit pas de citations tirées de son livre de chevet: Alice au pays des merveilles.
En s’étirant et se déliant comme un patin, en roulant les «r» (on ne s’appelle pas Aziz pour rien), il lance des réflexions, des ruminations pourrait-on dire, qui pourraient concurrencer en sagesse populaire celles de Nasredddine Hodja ou en sciences politiques celles de Charles Peguy, dont l’ouvrage Notre Jeunesse a inspiré le titre de cette pièce.
Au final, restent des adolescents en mal de mère et de père, en mal de repères et en rupture de tout dialogue. Au bord du précipice. Au bord de l’implosion. Y a-t-il quelqu’un pour sauver «notre
jeunesse»?
Notre jeunesse, un spectacle conçu par Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, avec Laurence Claoué, Laure Giappiconi, Cédric Michel, Florian Onnein, Conchita Paz et Charly Totterwitz, a été construit comme on bâtit une tour de Babel, à force d’histoires et de bribes collectées par-ci, par-là. Le texte est en effet né après un cycle de six petites formes théâtrales sur...

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