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À La Une - Loi électorale

Circonscription unique, pensée unique...

Nabih Berry a récidivé. Le voilà reparti avec sa vieille rengaine de la circonscription unique. On croyait la chose oubliée, rangée dans les bagages de l’armée syrienne quittant le Liban, le 26 avril 2005. Plus récemment, des chefs chrétiens se disaient certains qu’après avoir brandi face à leurs collègues musulmans la menace « séparatiste » du projet du Rassemblement orthodoxe, nul n’oserait plus, désormais, prendre les chrétiens pour quantité négligeable ou faire des propositions de nature à les rendre tels.


C’est pourtant ce que fait allègrement M. Berry. Et, d’ailleurs, pourquoi ne le ferait-il pas puisqu’il y a tant de Libanais, y compris des chrétiens, pour se précipiter dans son sillage, qui par ignorance, qui par aveuglement et qui par calcul politicien ?


Voilà plus de vingt ans que le même scénario se répète inlassablement. Entre deux élections, les Libanais sont gavés de discours sur l’impératif du rééquilibrage électoral, du respect effectif de la parité islamo-chrétienne. Puis, à l’heure des décisions, surgit invariablement le même président de la Chambre avec sa circonscription unique, à la manière d’un surveillant d’école signifiant aux gamins que la récréation est finie.


Il faut dire que l’espèce de charme indéfinissable qu’exercent inexplicablement depuis quelque temps la proportionnelle et la circonscription unique sur un grand nombre d’intellectuels et de militants libanais facilite les choses à M. Berry. Quoi de plus confortable, en effet, que de tenter une OPA sur les élections pour le compte de son camp en paraissant faire œuvre de réformisme et de modernité, alors qu’en réalité, les motivations sont les plus rétrogrades et les plus antidémocratiques qui soient.


Que des ONG et des activistes de la société civile militent – comme c’est leur droit de le faire – en vue d’un État débarrassé de son carcan confessionnel est un signe de vitalité politique. Est-ce contester ce droit que de les inviter à ne pas se contenter de plaquer des concepts théoriques occidentaux sur la réalité libanaise, à prendre en compte cette réalité non pas pour la perpétuer, mais pour mieux en neutraliser les effets négatifs, les facteurs de frustrations et de conflits ?


Disons les choses clairement : à la base, la proportionnelle que l’on se propose de mettre en œuvre au Liban ne ressemblerait déjà en rien à celle qui est en vigueur en Suisse, quel que soit le découpage électoral que l’on aurait retenu. Avec la circonscription unique, ce serait une arme terrible au service du nombre, dans le sens le plus brutal du terme.


On ne s’explique pas l’engouement de certains Libanais pour cette circonscription unique qu’ils voudraient importer d’Israël, seul cas notoire en la matière (hormis peut-être les atolls-États du Pacifique et des Caraïbes). Quelqu’un s’est-il demandé pourquoi l’État hébreu avait opté pour cette formule ? Il suffirait de passer très sommairement en revue les raisons de ce choix pour se rendre compte combien la circonscription unique est étrangère à la réalité libanaise et combien elle serait un piège mortel pour le Liban.


Dans les années vingt du siècle précédent, avant même la création de l’État d’Israël, les Juifs immigrés en Palestine commençaient à mettre en place leurs institutions politiques. Sur le plan électoral, le principal souci à l’époque était d’évacuer la notion de territorialité du mandat électif, et ce pour diverses raisons : parce qu’il n’existait pas encore de continuité géographique entre les zones de peuplement juif, certes, mais aussi parce que, en conformité avec l’idéologie sioniste, il ne fallait surtout pas matérialiser politiquement un espace qui ne pouvait être considéré comme définitif. D’où l’option de la circonscription unique qui ôte aux députés élus toute représentativité à caractère local.
Cette solution se révéla d’autant plus aisée à mettre en œuvre que, pour ce qui a trait au gros des effectifs juifs, il n’existait pas de patrimoine historique et humain liant une population venue de Pologne, de Russie et d’ailleurs avec telle ou telle région de Palestine. De plus, le système était en harmonie avec les idéaux collectivistes des fondateurs, peu enclins à favoriser les particularismes locaux.


Mais c’est surtout après 1948 que la circonscription unique se révélera être une arme redoutable au service des desseins des dirigeants israéliens. On sait que la Galilée, dans le nord d’Israël, fut relativement épargnée par les exodes massifs de Palestiniens, de sorte qu’après la création de l’État d’Israël, ceux qu’on appellera par la suite les Arabes israéliens y resteront majoritaires par rapport aux Juifs. Or il fallait éviter à tout prix que la Galilée, en tant qu’espace géographique ayant son patrimoine propre, son histoire, son économie, ne tombât sous la coupe politique de ces non-Juifs. La circonscription unique, tendant à noyer les minorités dans la masse, fit son œuvre. Essayons seulement d’imaginer ce que serait le poids politique des Arabes israéliens si, au lieu de la circonscription unique, le territoire avait été découpé en plusieurs entités électorales, y compris en Galilée !


De ce qui précède, il ressort clairement qu’il n’existe d’abord aucune justification historique permettant au Liban d’importer ce modèle et d’empêcher ses diverses composantes régionales d’être authentiquement représentées à la Chambre.


Ensuite et surtout, l’exemple vivant des Arabes israéliens montre quel péril guetterait le cas échéant les diverses minorités numériques dans un pays qu’on se complaît encore à décrire comme une mosaïque.


Et enfin, indépendamment du cas israélien, il existe aussi une raison proprement libanaise tendant à faire de la circonscription unique un véritable désastre au plan démocratique.


Voilà des années qu’on se plaint au Liban des manipulations et des combines auxquelles se livrent les chefs de file en amont des élections, notamment dans le processus de formation des listes, y compris au niveau du caza. Or même dans les démocraties occidentales, il a été démontré que la proportionnelle était de nature à aggraver ce phénomène. Qu’en serait-il alors sous le régime de la circonscription unique ?


On ne parlerait plus alors de listes bulldozer, mais de listes porte-avions !

Nabih Berry a récidivé. Le voilà reparti avec sa vieille rengaine de la circonscription unique. On croyait la chose oubliée, rangée dans les bagages de l’armée syrienne quittant le Liban, le 26 avril 2005. Plus récemment, des chefs chrétiens se disaient certains qu’après avoir brandi face à leurs collègues musulmans la menace « séparatiste » du projet du...

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