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À La Une - La chronique de Nagib Aoun

De larmes et de sang

À huis clos, loin des regards, dans une totale impunité : c’est ainsi qu’a été planifiée, puis exécutée, la « solution finale », celle qui raye des quartiers entiers de la carte syrienne, qui réduit au silence éternel les voix qui parvenaient encore à dénoncer l’insupportable, à témoigner de l’horreur de la répression.
C’est à huis clos que les hommes de main du régime ont nettoyé, rue après rue, le secteur de Baba Amr, éliminé les derniers témoins du carnage, alors que les équipes de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge étaient tenues à distance, empêchées d’apporter des secours immédiats aux derniers survivants.
Crimes de guerre, crimes contre l’humanité, nettoyages ethniques et communautaires : tout a été dit par les dirigeants du monde, par les associations humanitaires et par les divers médias pour qualifier les agissements du régime de Bachar el-Assad. Et, pourtant, la machine à tuer poursuit sa besogne infernale, élargit l’éventail de ses basses œuvres. Un bras d’honneur adressé à la communauté internationale dans son ensemble, réduite à publier des communiqués de dénonciation, à quasiment implorer l’assassin de faire preuve de compassion...
D’Édith Bouvier à William Daniels, de Paul Conroy à Javier Espinosa, sortis vivants, mais blessés dans leur chair et leur âme, de l’enfer de Baba Amr, témoins vivants d’une tuerie exécutée à l’échelle d’une population entière, le compte rendu qui a été fait du massacre ne laisse place à aucun doute. Sarajevo avant-hier, Misrata hier, Baba Amr aujourd’hui, l’intention était, est la même : éliminer, annihiler toute voix discordante ou contestataire, cette voix dut-elle être l’expression d’une collectivité importante.
Mais alors qu’en Yougoslavie et en Libye le monde est intervenu directement pour mettre un terme aux meurtres, pour empêcher l’irréparable, la population syrienne, elle, est abandonnée à son sort, livrée, pieds et poings liés, au bourreau, realpolitik et blocage au Conseil de sécurité obligent. Pas d’états d’âme à attendre de la Russie et de la Chine retranchées derrière leurs raisons d’État : leurs propres minorités sont supposées en avoir vite tiré les conclusions qui s’imposent !
Baba Amr nettoyé, sa population « neutralisée », la machine à tuer du régime tortionnaire « officie » maintenant dans les localités avoisinantes, s’employant, d’après les termes d’as-Saoura baassiste, à les « désinfecter » des « groupements terroristes », entendre la population résistante ! On croirait lire la littérature des années trente du siècle dernier dans l’Allemagne nazie...
Mais ne nous y trompons pas : la répression meurtrière ne peut conduire qu’à davantage de violences, les actions criminelles des « chabbiha » ne peuvent mener qu’à des réactions de désespoir : actes suicidaires, attentats terroristes, un engrenage de nature à enfoncer la Syrie dans la guerre civile, dans le chaos, un processus que l’impuissance même de la communauté internationale rend inévitable.
Une communauté qui, malgré ses multiples condamnations, se contente, en fait, de verser des larmes de crocodile, alors que les mères syriennes, de Homs à Hama, d’Edleb à Deir ez-Zor, versent, elles, des larmes de sang. Dans son palais à Damas, le président syrien, lui, rit aux larmes, savourant ce qu’il considère comme une victoire sur le terrorisme...
Des notables syriens, cités par Le Nouvel Observateur, rapportent qu’à son épouse Asma qui l’aurait supplié de démissionner, Bachar el-Assad aurait répondu que ce serait une attitude peu digne, « car le pays a besoin de moi ».
Insultante et pitoyable dignité qui se bâtit sur les corps de milliers d’innocentes victimes.

P.-S. : la crise syrienne ne peut, bien évidemment, qu’avoir des répercussions au Liban. Les manifestations et contre-manifestations de dimanche, au centre-ville, se sont pourtant déroulées sans incident, l’imposant déploiement sécuritaire... et le mauvais temps ayant contribué à refroidir, quelque peu, les esprits surchauffés ! Mais rien ne garantit qu’à l’avenir les têtes brûlées ne paveront pas la voie à de désastreuses dérives.
À huis clos, loin des regards, dans une totale impunité : c’est ainsi qu’a été planifiée, puis exécutée, la « solution finale », celle qui raye des quartiers entiers de la carte syrienne, qui réduit au silence éternel les voix qui parvenaient encore à dénoncer l’insupportable, à témoigner de l’horreur de la répression.C’est à huis clos que les hommes de...

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