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À La Une - L’éditorial de Issa GORAIEB

La revanche de la poule

Extraordinaire Liban, incroyable Liban qui se targue d’une scintillante modernité au sein d’un environnement de sable et de pierraille, et qui, par certains côtés pourtant, n’arrive pas encore à s’extirper des ténèbres du Moyen Âge.

À l’heure où de nombreux pays en sont à cautionner l’institution du mariage homosexuel, ou pour le moins à en débattre, c’est l’union de deux personnes de sexe parfaitement, indiscutablement opposé, mais d’appartenances religieuses différentes, qui persiste à poser problème sur cette terre dite de tolérance. Le Liban abrite, comme on sait, dix-huit communautés. Mais elles ont un mal fou à se serrer un peu au sein de la proverbiale (et souvent trompeuse, hélas) mosaïque libanaise pour faire de la place à une dix-neuvième : celle des citoyens de demain ou d’après-demain, que préfigure avec un admirable courage ce jeune couple mixte sunnito-chiite exigeant en vain que soit légalement reconnue son union civile.

C’est bien cette modernité-là qui fait cruellement défaut à une société libanaise résignée à se passer de prestations étatiques tels le courant électrique et l’eau courante, et néanmoins acharnée à se doter en avant-première mondiale, avant même New York, Londres ou Paris, des gadgets dernier cri que leur propose l’industrie automobile par exemple, ou bien alors celle de la haute couture. Mais par quel bout commencer pour rompre le cercle vicieux libanais, pour franchir un premier pas de la longue et prudente marche vers cette déconfessionnalisation politique figurant en tête des aspirations de la Constitution ?

Tranchant un paradoxe millénaire (lequel des deux a précédé l’autre), le chef de l’État a l’immense mérite d’avoir opté dernièrement pour l’œuf plutôt que pour la poule, et cela en dépoussiérant le projet mort-né du défunt président Élias Hraoui et proposant comme point de départ l’institution, pour qui en veut, du mariage civil. Le président a mieux fait encore en entreprenant lundi – bonjour, la modernité – de lancer le débat sur Twitter. C’est sur ce même réseau social que le Premier ministre Nagib Mikati s’est vu échoir le mauvais rôle, celui du dirigeant politique cédant peu glorieusement à l’injonction du mufti Kabbani, qui menaçait de décréter apostat tout musulman qui se hasarderait à acquiescer à l’impie projet. Et c’est en se disant pleinement conscient des réticences des instances religieuses que Michel Sleiman revenait à la charge, hier en Conseil des ministres.

Ces tenaces réticences ne sont pas seulement musulmanes, bien sûr, dans un pays où les mariages, divorces, séparations et successions relèvent traditionnellement – et de manière fort lucrative, soit dit en passant – des diverses hiérarchies spirituelles. Il reste qu’en faisant barrage aux mariages mixtes, c’est le cloisonnement des communautés que perpétuent objectivement les autorités religieuses : cela au moment même où la classe politique tout entière planche laborieusement – et interminablement – sur une loi électorale capable de garantir aux divers groupes spirituels une représentation authentique sans pour autant fissurer le tissu national libanais.

C’est sur ce terrain précis, faut-il craindre, que la poule tient sa revanche.

Issa GORAIEB

igor@lorient-lejour.com.lb

Extraordinaire Liban, incroyable Liban qui se targue d’une scintillante modernité au sein d’un environnement de sable et de pierraille, et qui, par certains côtés pourtant, n’arrive pas encore à s’extirper des ténèbres du Moyen Âge.À l’heure où de nombreux pays en sont à cautionner l’institution du mariage homosexuel, ou pour le moins à en débattre, c’est l’union de...

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