Il est de notoriété publique que dans l'antique Arabia Felix il existe des bases d'el-Qaëda, que des organisations « caritatives » se chargent de collecter des fonds destinées au mouvement d'Oussama Ben Laden - dont la famille, veut-on se rappeler aujourd'hui, est originaire de la province de Hadramout -, que l'aide US à la lutte antiterroriste est passée de 4,6 millions de dollars en 2006 à 67 millions en 2009, que le pouvoir central, déjà engagé contre plusieurs foyers de rébellion (pas seulement houtites) est incapable, ou ne veut pas, ouvrir un nouveau front qui risquerait d'accélérer le processus d'éclatement du pays.
On aurait tendance à l'oublier, mais la première attaque d'envergure contre des intérêts occidentaux s'était produite en octobre 2000 contre le destroyer USS Cole ancré dans le port de Aden. Bilan : 17 marins tués, 39 blessés. Dix-sept suspects, dont plusieurs appartenaient à un réseau d'el-Qaëda, avaient été interpellés et emprisonnés, trois ans plus tard, dix d'entre eux parvenant à s'échapper d'une manière demeurée inexplicable. En 2001, les forces de sécurité arrêtaient huit vétérans de la guerre d'Afghanistan (1979-1989) contre l'Armée rouge, convaincus de préparer une attaque contre l'ambassade des États-Unis. À partir de là, le rythme des incidents va aller crescendo : explosion accidentelle en juillet 2002 qui permettra de saisir près de 300 kilos de dynamite dans un entrepôt de la capitale, arrestation trois mois plus tard d'un ressortissant koweïtien qui avouait avoir préparé l'attaque contre un pétrolier français, assassinat peu après de trois missionnaires américains dans une localité du sud, explosion en 2007 d'une voiture piégée qui faisait neuf tués dont sept touristes espagnols...
Passée une période de flottement après les coups de boutoir assénés officiellement par l'armée, en réalité par l'Amérique, les dirigeants d'el-Qaëda sont parvenus à se ressaisir et même à passer à la contre-offensive, souvent par la bande, comme semblent le prouver la rébellion chiite à la frontière avec l'Arabie saoudite et le mouvement séparatiste au sud.C'est que le terrain, il faut le relever, est particulièrement fertile : le taux de malnutrition infantile est de 50 pour cent dans une contrée de plus de 23,8 millions d'habitants, où l'économie, les spécialistes sont unanimes dans leurs prévisions, est au bord de l'effondrement et où l'État donne la pénible impression de naviguer à vue.
Les récentes opérations militaires dans les zones d'Abyan (Sud) et d'Ahrab (au nord-est de Sanaa), ont été menées avec le concours du commandement central US, dont le chef, le général David Petraeus, a rencontré samedi dernier le président Ali Abdallah Saleh. Résultat : un supplément d'eau apporté au moulin des intégristes, pas du tout mécontents de rappeler que les victimes civiles étaient tombées sous les balles et les bombes de l'ennemi yankee. Si l'on ajoute à cette liste, nullement exhaustive, le jeu dangereux auquel se livrent les Iraniens, la présence à Sanaa de bureaux du Hamas et du Jihad islamique palestinien, le fait que des dizaines de milliers de Yéménites ont combattu en Afghanistan dans les rangs des brigades islamistes et que 91 des 198 détenus encore à Guantanamo sont des sujets yéménites, on comprend qu'il y a là « une base rêvée pour el-Qaëda », ainsi que le soulignent des responsables à Washington. Un rêve qui, pour l'Occident, est en train de virer au cauchemar. De leurs nouvelles bases, les guerriers de Dieu peuvent en effet menacer les pétroliers en route vers le canal de Suez ainsi que le royaume wahhabite et les roitelets du Golfe.
Non décidément, cette Arabie-là n'a plus rien d'heureux, pour ses ressortissants autant que pour ses voisins et même pour des contrées lointaines que l'on croyait hautement sécurisées.
commentaires (0)
Commenter