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Liban

Pas de rapatriement en masse des employées de maison malgaches

La communauté malgache du Liban est en émoi. Et pour cause, des articles de presse, publiés dernièrement à Madagascar, ont évoqué la possibilité d'un rapatriement en masse d'employées de maison malgaches. La réalité est quelque peu différente.

À Madagascar, une femme montre la photo d’une jeune Malgache, Saya, morte à Beyrouth en juin 2009. La version officielle avait conclu à un suicide. Photo Aline Ranaivoson-Audran

« Je veux rentrer à Madagascar. Je dois rencontrer les membres de la délégation diplomatique qui arrivera bientôt à Beyrouth pour organiser le rapatriement d'employées malgaches par avion spécial. » Nirine, qui se trouve en situation irrégulière au Liban après avoir fui la maison de ses employeurs, est convaincue qu'un avion sera affrété par les autorités de son pays pour la rapatrier au mois de mars, ainsi que ses compatriotes. Mais elle n'a aucune preuve de ce qu'elle avance, pas même une garantie ou le moindre engagement du consul honoraire de la République de Madagascar au Liban, Marcel Abi Chédid. « La délégation a déjà mes coordonnées », se contente-t-elle de dire, affirmant qu'elle envisage de se rendre à l'Institut catholique du Liban, mais qu'elle ne sait pas où il se situe. Un institut dont le nom a été mentionné par la presse malgache, mais qui n'existe pas au Liban, à moins qu'il s'agisse du Centre des migrants de Caritas.
De nombreuses employées de maison malgaches ont, comme Nirine, l'espoir de rentrer chez elles rapidement. « Du jour au lendemain, une centaine de femmes malgaches ont débarqué au consulat avec leurs bagages, après avoir fui la maison de leurs employeurs », déplore le consul. « Elles avaient entendu que les autorités malgaches ont affrété un avion pour rapatrier toutes celles qui le désirent. Or il n'en est rien », dit-il. Dans le même objectif, « un certain nombre de Malgaches se sont présentées au siège de Caritas », constate la directrice du Centre des migrants de Caritas, Najla Chahda, estimant que « le dossier de la main-d'œuvre migrante a été exploité à Madagascar à des fins politiques ». « Des choses étranges se sont produites, observe-t-elle. Car même des femmes de ménage payées 400 dollars par mois et satisfaites de leurs conditions de travail sont arrivées à Caritas dans l'espoir de prendre l'avion. »
Aimée Razanajay, une Malgache installée au Liban depuis 13 ans, et qui porte assistance, à titre personnel, à certaines de ses compatriotes, a assisté de son côté au même phénomène. « La rumeur court depuis de nombreuses années qu'un avion va être affrété pour rapatrier les Malgaches. Les autorités malgaches n'ont même pas la possibilité de payer le prix d'un billet d'avion pour rapatrier les personnes en grande détresse. Comment se pourrait-il qu'elles envoient aujourd'hui un avion entier ? » demande-t-elle sceptique, dénonçant « les mauvais conseils qui causent du tort à la communauté malgache ».
Ce jour-là, Josiane avait sollicité sa compatriote, après avoir déserté le domicile de ses employeurs, un couple chez lequel elle travaillait depuis un an et quatre mois. Et ce, dans l'espoir d'être rapatriée. « Ils me doivent trois mois de salaire », dit-elle, précisant qu'elle ne percevait jamais son salaire à la fin du mois. Elle ajoute que sa patronne la frappait de temps à autre, la houspillait pour différents motifs et lui interdisait de recevoir des coups de fil. « Selon le contrat que j'ai signé à Madagascar, ils doivent me payer un demi-salaire de congé chaque année. Or ils refusent de le faire », accuse-t-elle.

Aucune demande du gouvernement malgache
Remettant les pendules à l'heure face à la réaction de la communauté malgache du Liban, Marcel Abi Chédid affirme qu'« un nombre limité de migrantes malgaches pourraient être rapatriées, mais uniquement si les autorités malgaches en font la demande officielle au consul, qui à son tour transmettrait la demande aux autorités libanaises ». « Dans ce cas, un maximum de 35 femmes malgaches seront rapatriées par un petit avion spécialement affrété, tient-il à préciser, les 15 femmes détenues dans les prisons libanaises, ainsi que la vingtaine de femmes qui ont trouvé refuge chez Caritas, principalement victimes de maltraitance ou de mauvaise entente avec l'employeur ». « Mais pour le moment, je n'ai reçu aucune demande officielle du gouvernement malgache », soutient-il.
M. Abi Chédid explique que l'État malgache ne peut casser le contrat entre les employeurs et les employées de maison, sauf en cas de décès, de maltraitance, de maladie grave, de plainte ou de guerre. « Il est donc impossible d'envisager aujourd'hui un rapatriement en masse, vu la nécessité de traiter les dossiers au cas par cas », dit-il. Le consul met aussi l'accent sur les sommes importantes payées par les employeurs aux agences de placement. Des sommes que ni l'État malgache ni les familles des employées de maison, trop pauvres, ne sont en mesure de rembourser aux employeurs, en cas de rapatriement.
M. Abi Chédid explique que l'émoi au sein de la communauté malgache découle des cas de maltraitance. « Car entre 3 et 5 % des employées de maison malgaches (dont le nombre officiel est estimé à 5 846 personnes), sont maltraitées par leurs employeurs libanais », affirme-t-il. « La maltraitance peut prendre la forme de coups, d'agressions sexuelles, de mauvaise alimentation, de manque de soins en cas de maladie, ou de manque de sommeil, précise-t-il. Certains employeurs empêchent aussi leurs femmes de ménage de communiquer avec leurs amies et leurs familles ou de contacter le consulat. »

Onze décès depuis avril 2008
Parfois même, les choses prennent une tournure dramatique. « Depuis avril 2008 et jusqu'à début février 2011, 11 travailleuses malgaches ont trouvé la mort au Liban, constate le consul, dont quelques-unes dans des accidents de la route. » Hormis les accidents de la route, les enquêtes de la police locale ont généralement conclu à des suicides. « Il se pourrait bien que certains décès soient dues à de la maltraitance, estime-t-il, mais pour le savoir, il faudrait ordonner des enquêtes privées, en cas de mort suspecte. » « Mesure que nous n'avons pas la possibilité d'appliquer pour le moment », observe-t-il. Il ajoute que lorsque les employées maltraitées prennent la fuite, les patrons portent plainte pour vol, à tort ou à raison. Elles sont alors passibles de prison et leur présence est considérée comme illégale. « Au lieu de s'enfuir, ces femmes devraient plutôt contacter le consulat qui négocierait leur départ avec l'employeur », conseille-t-il, déplorant les risques que comporte la rue et invitant toutes les Malgaches sans papiers à contacter le consulat.
Marcel Abi Chédid estime que le taux de maltraitance porte atteinte à l'image du Liban à l'étranger et pousse les familles malgaches à se mobiliser et à faire pression auprès de leurs autorités. « Les autorités malgaches, de leur côté, soulignent qu'elles n'envoient pas leurs ressortissantes au Liban pour mourir, mais pour aider financièrement leurs familles restées à Madagascar », poursuit-il. Il précise à ce propos que les employées de maison malgaches envoient annuellement à leurs familles « 6 millions de dollars par le biais de Western Union ».
Pour protéger la communauté, les employées de maison malgaches n'ont plus l'autorisation de venir au Liban sans l'accord du consulat, et ce, depuis le 15 août 2010. Le consul exige, de plus, que les renouvellements de contrats se fassent par le biais du consulat. « Ces mesures permettent au consulat de mettre les bases d'un accord entre patrons et employés, et de mieux contrôler la situation », explique le consul qui s'empresse d'ajouter qu'il ne délivre plus d'autorisations de recrutement jusqu'à « l'arrêt des maltraitances ». Mais cette interdiction est souvent contournée, vu la mise en place d'un trafic parallèle.
« Je veux rentrer à Madagascar. Je dois rencontrer les membres de la délégation diplomatique qui arrivera bientôt à Beyrouth pour organiser le rapatriement d'employées malgaches par avion spécial. » Nirine, qui se trouve en situation irrégulière au Liban après avoir fui la maison de ses employeurs, est convaincue qu'un avion sera affrété par les autorités de son pays...

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