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Entre nous et les autres, la difficulté d’être soi

Le fait de porter un patronyme qui commence par « Abou » m’a parfois amenée à me poser des questions sur l’origine de cette tradition qui veut que l’on porte dans son nom une marque de paternité. « Abou », le père. Cette habitude est fréquente dans la partie méditerranéenne du monde arabe. On la retrouve en Jordanie, en Syrie, dans les territoires palestiniens et jusqu’en Tunisie. Dès qu’on a un enfant mâle, on porte le surnom d’« Abou » avec le prénom du garçon. Et si on n’a que des filles, eh bien on adjoint à « Abou » le prénom de l’aînée. Il arrive même qu’un jeune homme célibataire soit lui aussi surnommé « Abou » avec le prénom de son propre père. Une manière de lui souhaiter un enfant mâle qui portera à son tour, comme le veut la tradition, le prénom du grand-père. Tous ces « Abou », me semble-t-il, constituent une belle énergie procréatrice. Ils portent dans leur nom des germes d’avenir. Le fait d’être pères, même virtuellement, les projette dans le futur. Leur nom les conditionne en quelque sorte à aller de l’avant, réveille en eux des instincts de protecteurs et de bâtisseurs. Très tôt, l’on prend ainsi conscience d’être le chaînon d’une lignée destinée à se perpétuer le plus longtemps possible en s’adaptant à son époque. Idéalement, en vertu de cette vocation, le peuple des « Abou » devrait être révolutionnaire, courageux et débrouillard car il a viscéralement charge d’âmes. Les « Abou » sont aussi destructeurs, peu enclins à l’enracinement et pas vraiment portés sur l’histoire.
Du côté désertique du monde arabe vit, en revanche, le peuple des « Ben ». « Ben », le fils. Quand on naît « Ben » et qu’en vertu de ce nom on est destiné toute sa vie à rester « le fils de », si ce n’est du père, au moins du clan originel, il me semble qu’on est voué à l’obéissance, au respect des règles et des traditions au point d’en devenir réactionnaire. Un Ben porte sur ses épaules le poids d’un passé auquel il lui est quasiment impossible de tourner le dos. Comment faire ses preuves, marquer son passage, tuer le père ? Souvent en portant à leur paroxysme la culture et les gestes inscrits avant soi. Ben Laden serait un exemple de ce comportement extrême. Grossièrement, on pourrait illustrer cette réflexion par la confrontation entre le Tunisien Bouazizi (un « Abou »), le premier révolutionnaire du printemps arabe, avec Ben Ali, le dictateur aussitôt déchu.
Tout cela pour dire que la loi électorale dite « orthodoxe » ne passera pas au Liban, même si elle passe sur le papier. Il est impossible au peuple des « Abou » d’être contraint de se replier sur ses communautés respectives et ne voter que pour ses coreligionnaires, quand son atavisme le pousse justement à s’extraire de son appartenance tribale pour s’affirmer en tant qu’individu. Passé le premier mouvement de panique, c’est surtout le sens du ridicule qui a saisi les gens à l’annonce de son approbation. Pour ma part, je suis prête à faire rayer la mention (déjà inique) de mon appartenance religieuse sur tout registre où elle peut figurer. Si ma liberté de choisir ne tient qu’à cela, qu’à cela ne tienne.
Le fait de porter un patronyme qui commence par « Abou » m’a parfois amenée à me poser des questions sur l’origine de cette tradition qui veut que l’on porte dans son nom une marque de paternité. « Abou », le père. Cette habitude est fréquente dans la partie méditerranéenne du monde arabe. On la retrouve en Jordanie, en Syrie, dans les territoires palestiniens et jusqu’en...
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