Le conseiller du président de la République, Shadi Karam, prenant le contre-pied de nombreux commentateurs, a indiqué dans une entrevue accordée à l’agence al-Markaziya pourquoi il faudrait éviter d’éveiller l’intérêt des déposants chypriotes et protéger le secteur bancaire libanais d’un éventuel afflux de « capitaux flottants » fuyant la place chypriote.
« Chypre est à l’origine une économie de plantation de pommes de terre qui a adopté un modèle financier après la division de l’île en deux parties en 1974. Elle a bénéficié des événements libanais pendant deux décennies puis de l’afflux de dépôts russes après 1990. Le succès du modèle tient au fait que l’île a su bâtir une infrastructure évoluée de professionnels (avocats, comptables, etc.) spécialisés dans l’évasion fiscale et s’appuyant sur une technologie et des services de communication de qualité. Cet environnement a permis le développement d’une plate-forme de sociétés offshore comportant 320 000 sociétés inscrites dans le registre des sociétés, ce qui est énorme pour un pays qui compte à peine plus de 800 000 habitants. Ces sociétés sont pour la plupart des coquilles gérées par des avocats chypriotes qui couvrent des transactions commerciales internationales et détiennent une montagne de dépôts auprès des banques basées à Chypre », a souligné l’expert.
Citant un récent article du New York Times confirmé par des banquiers chypriotes, Shadi Karam a souligné que « de nombreux pays au profil similaire organisent actuellement une campagne de contacts avec les gestionnaires des offshores chypriotes pour les convaincre de redéployer leurs actifs vers leurs secteurs bancaires. Parmi ces pays l’on retrouve la Suisse, Malte, le Luxembourg, les îles Cayman et même Dubaï et Singapour ». Et d’ajouter : « J’espère que nos banquiers résisteront à la tentation de vouloir attirer les dépôts qui fuient Chypre car ce serait une bombe à retardement pour le Liban. »
Rappelant que le Liban est l’objet depuis un certain temps d’une campagne de « dénigrement » l’accusant de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, et ce n’est qu’au prix de beaucoup d’efforts et grâce à la crédibilité de la BDL et de son gouverneur Riad Salamé que le secteur bancaire libanais a pu contrer ces campagnes, « l’on peut imaginer alors l’effet de manchettes de presse clamant que les fonds russes de Chypre se reportent sur les banques libanaises... Ouvrir l’accès aux dépôts chypriotes, en majorité russes et dont la détermination de l’origine va nécessiter des enquêtes poussées et difficiles, c’est ouvrir une boîte de Pandore dont on peut se passer actuellement », a ajouté M. Karam en précisant que « les dépôts sont coûteux et ne deviennent profitables que s’ils sont placés soit dans des prêts, ce que les banques chypriotes ont fait de manière aléatoire en raison de l’afflux massif de fonds qu’ils ont orientés vers des placements hasardeux, en Grèce notamment, soit dans des bons du Trésor, ce qui n’est pas une bonne idée non plus en raison des risques, mais surtout de la différence de maturités : les dépôts étant un passif à court terme qu’il faudrait éviter d’investir dans des actifs à long terme ».
(Pour mémoire : Blanchiment d’argent au Liban : la CSI saisie de 284 cas dits « suspects » en 2012)
En outre, le conseiller économique auprès du président de la République explique que l’afflux soudain de capitaux à court terme, non recyclables dans l’économie comporte un risque de déstabilisation évident, puisqu’à la sortie, les effets bilanciels sont toujours « très difficiles à gérer et engendrent des conséquences souvent dramatiques. En tout état de cause, même si l’on souhaite attirer des capitaux de Chypre, cela va être difficile pendant longtemps au vu des contrôles et des restrictions imposés par le gouvernement ».
Parallèlement, M. Karam a ajouté dans l’entretien accordé à al-Markaziya qu’il a été « choqué par la décision prise par Chypre, sur instigation et sous la pression de l’Union européenne, de confisquer près de 60 % des fonds (placements et liquidités) des épargnants de plus de 100 000 euros », car cela constitue un dangereux précédent et fait voler en éclat la notion de garantie des dépôts partout en Europe. « L’épargne n’est plus à l’abri nulle part, ni en Italie ni en Espagne, ni même en France ou au Luxembourg », a-t-il mis en garde.
Shadi Karam a exprimé son souhait de ne plus considérer les « gonflements » de bilans bancaires comme des signes de succès et estime que le fait que les secteurs bancaires atteignent plusieurs fois la taille d’économies comme au Liban (trois fois), ou à Malte (huit fois), ou encore au Luxembourg (vingt-deux fois) n’est pas nécessairement un signe de santé économique.
Il y a quelques jours, l’ancien ministre des Finances Jihad Azour avait indiqué, toujours dans une entrevue accordée à l’agence al-Markaziya, que le secteur bancaire libanais a les capacités de profiter de la crise bancaire chypriote en attirant les flux de capitaux des déposants. Des propos qui faisaient écho à ceux de l’avocat à la Cour au barreau de Beyrouth et chargé de droit fiscal à l’USJ, Karim Daher, qui déplorait, dans un entretien accordé à L’Orient-Le Jour, un manque de réformes fiscales. Selon lui, si ces réformes avaient été appliquées, le secteur bancaire libanais aurait pu gagner la confiance des déposants dans les banques chypriotes.
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commentaires (3)
Je m'étonne vraiment que L'OLJ ne parle pas du tout de la déclaration Shoeble et des approches des banques allemandes, et non seulement, pour récupérer les dépôts supposés SALES ET MAFIEUX des banques chypriotes.
SAKR LEBNAN
15 h 04, le 03 avril 2013