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À La Une - Reportage

La corruption plombe le rêve d'une "Nouvelle Egypte"

Les Egyptiens ont renversé Moubarak, mais certaines habitudes s'annoncent difficiles à éradiquer.

Un graffiti, sur un mur de la place Tahrir, au Caire. REUTERS /Ammar Awad

Dans la salle d'attente d'un centre de renouvellement de cartes grises du Caire, la résignation a laissé place à la frustration. La foule, qui attendait depuis des heures sans rien d'autre à faire qu'observer les insectes sur les murs, a soudain explosé.

 

Cela n'a pas impressionné l'employé de bureau occupé à siroter son thé derrière la glace de séparation. En l'absence de file d'attente, il a balayé l'assistance d'un regard distrait, avant de s'arrêter sur l'homme le mieux habillé, flanqué d'une femme aux lunettes de soleil de marque.

L'homme a compris le message et s'est prestement rapproché du guichet, glissant à l'employé le "bakchich" attendu pour qu'il traite en priorité son dossier.

 

Une telle scène de corruption est ordinaire dans les administrations, où les Egyptiens peuvent perdre des heures, voire des jours et même la vie entière s'ils ne versent pas un pot-de-vin à la bonne personne.

La démarche est très codifiée et le distrait se fait toujours rappeler à l'ordre par une phrase du genre "je vous souhaite une belle journée" ou "offrez-moi une tasse de thé", accompagnée d'un sourire entendu.

Au terme turc "bakchich", les Egyptiens préfèrent celui d'"al halawah", ce qui peut se traduire par "récompense" ou "sucrerie".

 

La corruption généralisée est l'un des héritages de l'époque d'Hosni Moubarak, les autorités n'ayant rien fait pour lutter contre ce fléau, y voyant même un précieux palliatif pour une fonction publique pléthorique et sous-payée.

Dans les années 2000, marquées par un virage ultra-libéral de l'économie égyptienne et un afflux d'argent considérable, elle était même devenue une marque de fabrique du gouvernement, dont les ministres détenteurs des portefeuilles clés (économie, commerce, logement, tourisme...) sont tous en prison ou en fuite à l'étranger depuis la chute du raïs.

L'organisation Transparency International a classé l'Egypte au 112e rang sur 182 pays en matière de corruption du secteur public en 2011.

 

Alors que les Egyptiens s'apprêtent à élire le successeur de Moubarak, lors de l'élection présidentielle dont le premier tour se déroule mercredi et jeudi, le changement s’annonce difficile.

 

"Renverser Moubarak s'est finalement avéré facile, mais mettre fin à la corruption relève de la mission impossible", soupire Tarek Mahmoud, un chauffeur de taxi barbu de 35 ans qui attend depuis des mois une licence pour ouvrir une sandwicherie après la perte de son outil de travail dans un accident de la route. "Je n'ai pas de piston et pas d'argent pour payer un pot-de-vin, donc aucun responsable ne prendra le temps de m'écouter", enrage-t-il. "Je ne veux pas rentrer chez moi. Je préfère rester dans la rue plutôt que faire face à ma femme et à mes six enfants qui comptent sur moi pour avoir à manger."

 

Soutien financier

 

La corruption n'épargne pas les policiers qui autorisent les conducteurs pressés à se garer sur des emplacements interdits moyennant quelques piécettes, leur permettent d'échapper à une contravention ou de terminer plus rapidement une démarche officielle en échange de quelques billets.

 

"J'observe les gens qui arrivent pour repérer ceux qui sont pressés et qui sont prêts à payer pour que ça aille vite. J'ai un vrai talent pour ça", explique de manière totalement décomplexée un policier posté devant le centre de renouvellement de cartes grises.

 

Pour chaque "client" auquel il permet d'être pris en charge sans attendre, le policier empoche 50 livres égyptiennes (LE, environ 7,5 dollars), ce qui lui permet, dit-il, de doubler son salaire mensuel de 650 LE. "C'est pour cela que les emplois comme le mien sont très recherchés", explique-t-il. "Je n'appellerais pas ça de la corruption, mais un soutien financier".

La pratique est généralisée dans toutes les administrations et plus la prestation est importante, plus la somme est élevée.

 

La plupart des bureaux sont décrépits, sales, glaciaux l'hiver, étouffants l'été, dépourvus de toilettes et d'endroits où s'asseoir. "Tout est fait pour qu'on n'ait pas envie d'y rester et qu'on soit prêt à payer pour en sortir au plus vite", souligne Amr Adly, un avocat de l'Initiative égyptienne pour les droits personnels, à l'origine de plusieurs plaintes contre l'Etat égyptien.

 

Au lendemain de la chute d'Hosni Moubarak, la moralisation de la vie publique a été un des grands chevaux de bataille des jeunes révolutionnaires et des islamistes et une vive source d'inquiétude pour tous les bénéficiaires de ce système.

Si les vieilles habitudes des "felouls" (littéralement, en arabe, "soldats d'une armée en déroute") ont vite repris le dessus, Amr Adly veut croire que le combat n'est pas perdu.

 

"Combien de temps cela va-t-il prendre? Tout dépend de la réponse à une question : est-ce que nos nouveaux dirigeants vont s'attaquer de front à la corruption au risque de se mettre à dos les corps administratifs? Ou bien vont-ils suivre l'exemple de l'armée en ne faisant rien?"

 

Dans la salle d'attente d'un centre de renouvellement de cartes grises du Caire, la résignation a laissé place à la frustration. La foule, qui attendait depuis des heures sans rien d'autre à faire qu'observer les insectes sur les murs, a soudain explosé.
 
Cela n'a pas impressionné l'employé de bureau occupé à siroter son thé derrière la glace de séparation. En l'absence de file...

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