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À La Une - conférence

Le mariage civil au Liban : un droit en pleine mutation

Les conférenciers entourant le modérateur (au centre), le directeur du Cedroma, Georges Khadige. Photo Michel Sayegh

« Entre un projet de loi dit orthodoxe mais peu civique et un mariage dit civil mais juridiquement peu orthodoxe (...), le débat n’oppose pas seulement la laïcité au religieux, les prérogatives de l’État à celle des communautés religieuses, le débat concerne l’inadaptation du droit au fait. »
C’est par cette formule lapidaire mais non moins pertinente et humoristique que Lara Karam Boustany, professeure à la faculté de droit de l’USJ, a ouvert hier son intervention lors d’un débat qui porte sur la problématique du « mariage aujourd’hui ».
Le choix de l’intitulé de cette rencontre a été inspiré par deux faits majeurs qui ont fait la une des médias au Liban et en France : le mariage-fétiche, si l’on peut dire, de Nidal et Khouloud, qui ont opté pour la première fois dans l’histoire du pays pour un mariage civil, et « le mariage pour tous », qui pourrait inaugurer le mariage homosexuel en France.
Organisé par le Credroma (Centre d’études des droits du monde arabe), à l’USJ, le débat avait pour objectif de rectifier le tir en matière de débat juridique relatif notamment au mariage civil au Liban, d’autant que le Cedroma a choisi des juristes de haut niveau pour intervenir sur un sujet aussi controversé.
Si les interventions ont mis au clair certains points de droit et relancé de plus belle le débat sur la légalité ou non du mariage de Nidal et Khouloud, il n’en reste pas moins que le principe même de l’initiative prise par le jeune couple n’a été à aucun moment contestée dans la salle.
Autre constatation : celle de la défaillance de l’État à ce niveau, appelé à combler les failles par l’adoption d’une loi civile qui préluderait à l’édification d’un système non communautaire, reflétant ainsi les aspirations d’une large partie de la population.

Adapter le droit aux mutations sociales
C’est sur la relation entre « le mariage et le droit » que Mme Boustany a choisi de développer son exposé, après avoir assuré que la liberté de se marier est « incontestable ».
Mais qu’en est-il du droit des modifications normatives qu’appellent les mutations sociales ? s’interroge-t-elle.
Si tous les instruments internationaux qui se sont interrogés sur le mariage utilisent l’expression « droit de se marier » (Déclaration universelle des droits de l’homme, le pacte des droits civils et politiques de 1966, etc.), il reste à savoir quelle est « l’étendue du pouvoir discrétionnaire de l’État vis-à-vis de la règlementation de ce droit », ajoute la conférencière.
Celle-ci commence par rappeler le fait qu’en droit libanais, le droit de se marier est un droit fondamental puisqu’il s’inscrit dans la Constitution. Par conséquent, précise Mme Boustany, « la non-intervention du législateur semble doublement inconstitutionnelle : d’une part, parce qu’il reste en deçà des compétences qui lui sont reconnues en la matière, et d’autre part, parce qu’il refuse de donner au droit fondamental de se marier toute son étendue ».
Entendre, quelle que soit la discussion sur la portée et les effets juridiques de ce contrat, « l’État ne peut rester dans un rôle négatif de non-intervention et de non-réglementation », précise-t-elle.
Au Liban, note Mme Karam, le mariage civil « se résume à un constat : le droit est remplacé par le fait ». Et de conclure que le droit doit s’adapter au fait « mais ne peut en aucun cas s’y identifier ».
Professeure agrégée à la faculté de droit et des sciences politiques, Marie-Claude Najm reprendra, en les développant, la relation du droit au fait – « La démarche de Nidal et Khouloud est une pression du fait sur le droit », dira-t-
elle – ainsi que les implications juridiques de cette initiative révolutionnaire à plus d’un point de vue.
Dénonçant « l’atteinte aux droits fondamentaux à travers la compétence exclusive de la loi religieuse au Liban », qui, dit-elle, « enchaîne les citoyens dans leurs liens communautaires », la conférencière fait remarquer que le droit libanais porte atteinte même à la liberté de conscience « puisqu’il faut parfois se convertir pour pouvoir se marier au Liban ».
Sans ambages, la juriste se prononce pour l’instauration d’un statut civil du mariage, du moins pour ceux qui désirent se soustraire à l’ordre juridique religieux, dans le respect des droits que le Liban s’est engagé à garantir.
 

(Lire aussi: Khouloud et Nidal célèbrent leur mariage en grande pompe au Phœnicia)


Des bienfaits de la loi civile
Énumérant les répercussions positives de l’adoption d’une loi civile libanaise régissant le mariage, elle soutient que cela « éviterait le tourisme matrimonial (700 couples chaque année pour la seule destination de Chypre) et l’importation de lois étrangères déconnectées de notre milieu ». Elle diminuerait également « la fraude que notre système communautaire a encouragée » (les conversions pour un mariage ou un divorce ).
Autant de déviations que nourrit le système en place et qui font que « notre droit ne reflète plus nos identités culturelles », de même qu’« il n’est plus adapté à l’évolution de la société libanaise », soutient l’intervenante.
Démontrant par ailleurs que le mariage de Nidal et Khouloud comporte plusieurs points de droit en faveur du « refus de l’enregistrement de l’acte » en tant que mariage (il n’existe pas de loi fixant les modalités de célébration du mariage, pas de loi non plus déterminant les effets de ce mariage), Mme Najm fait toutefois valoir l’argument de la situation exceptionnelle « née de la défaillance de l’État » face aux droits fondamentaux dont peuvent jouir Nidal et Khouloud, à savoir le droit à la liberté de conscience et à la liberté de mariage.

L’État ne peut rester les bras croisés
Si l’État libanais rejette leur demande, le problème demeure posé. Comment leur garantir la réalisation de leurs droits fondamentaux ? s’interroge la juriste qui met en avant les réalités sociologiques et les dynamiques sociales que le droit ne saurait ignorer.
« La démarche de Nidal et de Khouloud est une pression du fait sur le droit, un catalyseur. C’est une situation de fait qui doit provoquer une intervention législative », dit-
elle, en invitant l’État libanais à faire face à ses responsabilités, d’autant que ce mouvement civil est appelé à s’amplifier à l’avenir, estime Mme Najm.
En dépit des doutes qu’il émet à son tour sur la valeur juridique du mariage contracté civilement au Liban, l’ancien ministre de la Justice Bahige Tabarrah affirme que Nidal et Khouloud ont toutefois eu « le mérite de remettre à l’ordre du jour la question du mariage civil et celle plus large du statut personnel ».
M. Tabbarah s’est attardé sur le fameux arrêté 60 RL datant du temps du mandat français, que le jeune couple a fait valoir pour contracter leur mariage.
Citant le grand juriste Edmond Rabbath, le ministre démontre l’incertitude et la confusion que fait naître ce texte juridique
« Le législateur mandataire a voulu ainsi offrir aux Libanais et Syriens n’appartenant à aucune communauté – ce qui représente une simple vue de l’esprit sans liaison ni possibilité de liaison avec la réalité concrète – (...) d’adhérer à une doctrine et à une morale de leur choix », dit-il, reprenant les propres termes de M. Rabbath.

Le confessionnalisme à l’origine de tous les maux
Selon l’ancien ministre, les deux consultations « contradictoires » du ministère de la Justice (celle la commission de législation et de consultation, et celle de la commission consultative supérieure) « indiquent pour le moins que les juristes de ce ministère sont loin d’être d’accord sur la solution à donner aux questions soulevées par cette affaire » (voir encadré).
Et le ministre de poser plusieurs questions, notamment celle de savoir s’il est possible de conclure un mariage sans l’intervention d’un officier public mandaté par la loi.
Suffit-il en outre qu’un notaire se contente de donner une date certaine aux déclarations de ces deux personnes ? Nidal et Khouloud peuvent-ils soumettre de leur propre gré leur mariage aux dispositions d’une loi étrangère, le code civil français en l’occurrence ?
Des questions qui nécessitent des réponses claires et unifiées, dit l’ancien ministre, en préconisant de soumettre ce dossier à la Commission consultative supérieure sur demande du Conseil des ministres.
Rappelant l’esprit dont étaient animés déjà les constituants de 1926 qui avaient approuvé à l’époque le fameux article 95 (prévoyant la suppression du confessionnalisme politique), M. Tabbarah affirme qu’à l’époque, « les constituants étaient presque unanimes à stigmatiser le confessionnalisme considéré comme étant à l’origine de tous les maux ».
Il en fut de même du temps de Riad el-Solh qui avait qualifié, en 1943, le jour où il sera possible d’abolir le confessionnalisme de « moment de réveil national, béni dans l’histoire du Liban », fait-il valoir.
« Il est grand temps d’engager le pays dans la voie tracée par les pères fondateurs de la République afin de parvenir au stade où la loyauté du citoyen irait directement vers la patrie, sans passer nécessairement par la confession ou la communauté », conclut l’ancien ministre qui espère du même coup que le statut personnel facultatif puisse « trouver tout naturellement sa place ».

 

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