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À La Une - Éclairage

Les appréhensions du seigneur de Moukhtara

Le chef du Parti socialiste progressite Walid Joumblatt. Photo archives/

Il reste sans doute encore beaucoup à dire au sujet des événements qui ont secoué le Liban au cours des deux dernières semaines, notamment l’assassinat du général Wissam el-Hassan et l’assaut manqué contre le sérail. Mais grâce aux informations recueillies avec le recul nécessaire, il semble clair que le 14 Mars – ou une partie des piliers de ce mouvement – avait dressé un plan précis pour faire chuter le gouvernement en se basant sur l’élan d’indignation provoqué par l’odieux attentat d’Achrafieh. À part l’émotion du terrain et la mobilisation de la foule invitée à prendre d’assaut le sérail, le plan reposait sur un 


personnage-clé, à savoir le leader druze Walid Joumblatt. Depuis quelque temps déjà, le 14 Mars considérait en effet que Joumblatt avait fait un nouveau virage et qu’il avait quasiment réintégré ce camp, sans le dire ouvertement. En tout cas, le 14 Mars pensait que la présence de Walid bey au sein de la nouvelle majorité ne tenait plus qu’à un fil, surtout après la publication du projet de loi électorale présenté par le gouvernement et auquel le leader druze était ouvertement opposé. Il fallait donc lui fournir l’occasion de lâcher complètement la majorité. Au cours de la rencontre entre Joumblatt et l’ancien chef de gouvernement Saad Hariri qui s’est tenue récemment à Paris, ce dernier a clairement demandé à Walid bey de demander à ses trois ministres de démissionner du gouvernement, en guise de premier pas vers la chute de l’équipe Mikati. Pour Saad Hariri, le retour de Walid Joumblatt dans le 14 Mars devait forcément passer par la réparation du tort causé à ce camp, lorsqu’il avait fait basculer la majorité parlementaire avec ses sept députés. En contrepartie, Hariri s’engageait à obtenir pour le chef druze le rendez-vous tant attendu avec le roi Abdallah d’Arabie. Le 14 Mars croyait ainsi l’affaire entendue et l’assassinat du chef des renseignements des FSI est arrivé à point pour favoriser l’exécution de ce scénario, le principal accusé étant aux yeux du 14 Mars, et de Joumblatt lui-même, le régime syrien.


Pourtant rien ne s’est déroulé comme prévu et la grande (mauvaise) surprise du 14 Mars a été l’attitude de Walid Joumblatt. Ce dernier a d’ailleurs expliqué au cours d’un entretien télévisé à la chaîne LBCI que Saad Hariri lui a effectivement demandé de pousser ses ministres à démissionner, mais qu’il ne compte pas le faire car il estime qu’à cette période particulièrement sensible, la priorité est à la stabilité interne laquelle est elle-même tributaire de l’absence de vacance dans le pouvoir. Plus même, le jour des obsèques du général el-Hassan et en plein assaut des manifestants contre le sérail, le leader du Futur aurait une nouvelle fois contacté Walid Joumblatt pour lui demander de pousser ses partisans à descendre dans la rue, notamment sur la route du Sud. Mais Joumblatt aurait au contraire demandé à ses partisans de calmer le jeu, fidèle à son mot d’ordre de préserver la stabilité interne.

 

Selon ses proches, le leader druze serait en effet obsédé par le spectre d’un conflit entre les sunnites et les chiites, dont sa région et sa communauté seraient les premières à faire les frais. Situé au croisement du Sud, de la Békaa et de la capitale, le Chouf et Aley sont coincés entre les régions chiites et les régions sunnites et deviennent un point de passage obligé en cas de conflit entre ces deux grandes communautés. Mais ce n’est pas la seule raison de l’attitude du refus de Joumblatt de provoquer la chute du gouvernement. Les proches du seigneur de Moukhtara révèlent ainsi que Joumblatt a aussi en tête les prochaines élections de 2013. S’il est clairement hostile au projet de loi présenté par le gouvernement – et ses ministres ont d’ailleurs voté contre le projet en Conseil des ministres –, il est encore plus hostile au projet des 50 circonscriptions présenté par les Forces libanaises et appuyé officiellement par le courant du Futur. Il l’a déclaré lui-même à la télévision, ce projet équivaut à l’élimination de toute son influence politique sur la Montagne.

 

Par conséquent, il ne peut pas l’accepter. Ses proches estiment donc que le 14 Mars n’a pas seulement omis de lui faire une proposition concrète sérieuse, mais, de plus, il a sciemment adopté un projet de loi électorale qui lui est néfaste. Il est donc irréaliste de lui demander de tout lâcher sans une contrepartie intéressante. De plus, après la mort du général Wissam el-Hassan, le chef druze a aussitôt entrepris des contacts avec des ambassadeurs occidentaux qui lui ont tous assuré leur attachement à la stabilité du Liban. Joumblatt a donc saisi le message qui est d’ailleurs conforme à sa vision de la situation. Et avec Mikati, il constitue en quelque sorte un filet de sécurité pour le pays. Mais cela ne signifie pas qu’il a surmonté ses appréhensions électorales. Il attend désormais d’éventuelles nouvelles propositions.

 

À cet égard, des observateurs de la scène interne précisent qu’il faut suivre de près l’évolution des relations entre Walid Joumblatt et le président de la Chambre Nabih Berry, lequel n’est jamais à court d’idées pour relancer les négociations. Des sources proches de Aïn el-Tiné pensent d’ailleurs que le moment est propice pour faire un pas en direction de Joumblatt dans le but de le réintégrer au sein de la majorité. Il y a quelques mois, Berry avait d’ailleurs fait une proposition de ce type au leader de Moukhtara, mais ce dernier n’avait pas alors vraiment réagi.

 

Aujourd’hui, le contexte est différent et l’éloge de Joumblatt à la décision de Berry de reporter la séance plénière du Parlement est peut-être le signe précurseur d’un dialogue plus précis sur les prochaines élections. En même temps, et pour ne pas rester sur l’impression négative des derniers événements, cheikh Saad a contacté à son tour le leader druze, qui reste ainsi en contact avec les deux camps, aucun d’eux ne voulant couper les ponts avec lui et le laisser aller totalement dans un seul sens. Celui dont on voulait se passer est plus que jamais, aujourd’hui, au cœur de toutes les sollicitations.

 

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