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À La Une - Environnement

Hbéline : un dépotoir actif, une usine de compostage fermée

Le dépotoir de Hbéline continue de recevoir la centaine de tonnes de déchets produite quotidiennement dans le caza de Jbeil. Mais l’usine censée en composter plus de 50 % et construite depuis des années rouille à l’air libre.

Des barils recouverts de poussière, non utilisés depuis des années.

Il s’agit décidément d’une spécialité libanaise : à Saïda, deux énormes dépotoirs polluent tous les jours la mer alors qu’une usine de compostage flambant neuve, située à quelques mètres seulement, reste fermée. À Hbéline, village du caza de Jbeil, l’histoire est similaire. Une usine de compostage existe depuis des années mais n’a fonctionné que quelques mois, il y a environ trois ans. Entre-temps, les habitants des quartiers ou des villages proches de ces dépotoirs souffrent tous les jours de cette pollution chronique. À leurs souffrances s’ajoute une incompréhension de taille : pourquoi ce gaspillage de temps et d’argent ?
« Les relents provenant du dépotoir altèrent grandement notre qualité de vie, se plaint André Nader, un habitant de la région. Les arbres se dessèchent, nos jardins sont morts, nous n’avons plus de vignes. Et quand le dépotoir brûle, l’air devient irrespirable, et les maladies respiratoires se multiplient. Il faut que cette usine fonctionne enfin. »
Le dépotoir de Hbéline reste donc actif. Des camions y entrent et en sortent régulièrement pour y déverser la centaine de tonnes quotidienne provenant de tout le caza (chiffre obtenu auprès de la Fédération des municipalités de Jbeil). Au centre de la vallée, des tracteurs s’activent à recouvrir de terre les déchets abandonnés par les camions. Sur l’un des versants, une épaisse couche bleuâtre recouvre toute la pente, atteignant jusqu’à ce qui est vraisemblablement un cours d’eau. Une odeur irritante s’en dégage. C’est, apprend-on, des déchets provenant des industries de papier.
Plus bas, on voit, bien en évidence, l’usine de compostage, une sorte de hangar vert au toit rouge. Cette usine a été construite pour le compte de la Fédération des municipalités par l’entreprise « Cedar Environmental ». Le propriétaire de cette entreprise, Ziad Abi Chaker, est l’inventeur d’un procédé de compostage rapide (en quelques jours), à l’aide d’une enzyme spéciale ajoutée au lot de déchets organiques à composter. Mais l’usine est vide, les grands cylindres, d’une capacité de six tonnes de déchets chacun, sont arrêtés. La poussière et la rouille les recouvrent. On remarque cependant un convoyeur de déchets neuf au centre du hangar.

Points d’interrogation sur le fonctionnement
Interrogé sur le retard dans la mise en marche de la station de traitement, Michel Khalifé, directeur du département technique de la Fédération des municipalités, revient sur l’histoire compliquée de la naissance du projet de l’usine. « Après l’échec d’un premier projet de construction d’une décharge sanitaire à cet endroit, la fédération a opté pour le compostage rapide de 60 tonnes par jour. Un financement de l’Usaid a été obtenu. Une étude d’impact environnemental a été effectuée par le bureau Elard, et a été approuvée par le ministère de l’Environnement », explique-t-il.
Il ajoute : « Le projet a pris son temps parce qu’il a fallu préparer le contrat de fonctionnement. Nous avons signé un contrat de gré à gré avec Ziad Abi Chaker, parce qu’il est l’inventeur du procédé. »
L’usine a été construite puis a travaillé brièvement, quelques mois, en 2008. À la question de savoir ce qui en avait interrompu le fonctionnement, le responsable municipal explique que la fédération avait reçu entre-temps un don de l’Union européenne (UE) à travers le ministère du Développement administratif, dont une partie a été employée à installer un convoyeur de tri des déchets plus moderne, combinant le tri manuel et automatique, celui-là même qu’on peut voir actuellement au centre de l’usine. « Ce convoyeur n’est terminé que depuis un mois et demi, il était impossible de faire fonctionner l’usine avant », dit-il.
Fifi Kallab, experte en socio-économie de l’environnement et présidente de l’association écologique Byblos Ecologia, déplore ce retard de six ans. Elle estime que « cette usine n’a pas marché car elle était très mal conçue au départ ». Elle insiste sur la nécessité de la doter d’équipements, comme une aire pour l’assèchement du compost qui n’a toujours pas été aménagée, et l’installation d’un crible et d’un biofiltre, nécessaire pour contrôler l’odeur et la pollution qui s’en dégage.
Et ce n’est pas tout. « Durant les quelques mois où l’usine était opérationnelle, elle a produit un compost de mauvaise qualité, qui s’est avéré invendable, dit-elle. J’avais conseillé à la fédération d’inclure une clause pénale obligeant l’entrepreneur à écouler lui-même le stock de compost au cas où il serait de mauvaise qualité, mais cela n’a pas été fait. »
Michel Khalifé se défend d’avoir produit un compost de mauvaise qualité. « Le compost a été testé au laboratoire, et il était d’une qualité tout à fait acceptable, dit-il. Mais pour être commercialisé, il doit passer par un équipement de raffinage que nous comptons installer dans l’usine. C’est lui qui ôtera les impuretés. Il faudra ensuite ajouter un adjuvant, comme l’azote. »

Dans l’attente d’un décret
L’usine existe donc depuis plusieurs années, et a coûté en tout 1,2 million de dollars pourvus par l’Usaid, presque autant que l’argent de la fédération (pour l’expropriation de cent mille mètres carrés, pour les travaux d’excavation et de génie civil), et 290 000 euros issus du don de l’UE. Des sommes considérables pour une usine qui reste fermée. Quand doit-elle enfin fonctionner ?
Michel Khalifé souligne que la Fédération des municipalités de Jbeil a dû réfléchir au moyen d’assurer le coût du traitement par tonne, qui s’élève à environ 30 dollars. « Pour ne pas faire payer le contribuable en ces temps difficiles, le seul choix qui nous restait était de conclure un accord avec les ministères de l’Intérieur et de l’Environnement afin qu’ils financent le coût de fonctionnement à travers la Caisse autonome des municipalités, explique-t-il. Celle-ci, contre cet argent versé, diminuera la part de la fédération de 30 %. »
Toutefois, l’usine ne règlera, dans le meilleur des cas, qu’une partie du problème du dépotoir, comme le fait remarquer Fifi Kallab. « Elle réduit certainement le volume des déchets en assurant le compostage de quelque 60 % d’entre eux, ce qui correspond aux déchets organiques, dit-elle. Qu’en est-il des autres déchets, dont certains sont dangereux ? »
À cela, Michel Khalifé répond que le projet global de la fédération comprend un contrat avec une société privée, Sanitek, qui a déjà à son actif le fonctionnement de la décharge de Zahlé. « Ce contrat portera sur la réhabilitation de l’usine de compostage (trop longtemps abandonnée) et la construction d’une aire de maturation du compost, dit-il. Mais la société devra également travailler sur le dépotoir lui-même et le traitement des autres déchets. Elle devra ériger un mur de soutènement pour protéger le cours d’eau saisonnier. Elle enlèvera ensuite 80 000 tonnes des anciens déchets pour recouvrir le sol d’une géomembrane qui le protégera, avant de les y remettre. Elle installera aussi un système pour faire dégager les gaz et un autre pour drainer le liquide qui provient des ordures. Enfin, elle construira un petit incinérateur à trois filtres pour les matières inertes. »
La société devra faire opérer tout le système pour une durée de cinq ans. Pour cela, elle touchera, directement de la Caisse autonome des municipalités (suivant l’accord conclu avec les ministères), la somme de 73 dollars la tonne (dont les 30 dollars du tri et compostage). « Dans cinq ans, les équipements seront à nous, et nous n’aurons plus qu’à nous acquitter du coût de 30 dollars la tonne pour le tri et le compostage, souligne Michel Khalifé. L’ancien dépotoir aura été réhabilité et planté. »
Selon lui, il n’y a plus qu’à attendre l’adoption d’un décret en Conseil des ministres pour lancer la réhabilitation de l’usine, la faire fonctionner en quelques semaines et entreprendre tous les autres travaux en parallèle.
Fifi Kallab, elle, reste sceptique. « J’ai bien peur qu’ils ne profitent de la construction de ce fameux mur de soutènement pour y entasser encore plus de déchets, sans recourir à une solution radicale », dit-elle.
Un scepticisme qui, dans le cas de la gestion des déchets ménagers, reste toujours de mise...
Il s’agit décidément d’une spécialité libanaise : à Saïda, deux énormes dépotoirs polluent tous les jours la mer alors qu’une usine de compostage flambant neuve, située à quelques mètres seulement, reste fermée. À Hbéline, village du caza de Jbeil, l’histoire est similaire. Une usine de compostage existe depuis des années mais n’a fonctionné que quelques mois, il y a...

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