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Moyen Orient et Monde - commentaire

La fin de la révolution islamique en Iran

Les pays qui ont conclu l’accord sur le nucléaire avec Téhéran « vont réaliser à l’avenir que la concertation plutôt que la confrontation avec l’Iran constituait la bonne approche. Nous considérons cet accord comme le début d’un mouvement visant à créer une meilleure situation dans les relations régionales et internationales », a déclaré hier le président de la République islamique, Hassan Rohani, cité par l’agence iranienne Irna. M. Rohani s’exprimait à l’occasion d’une rencontre avec le chef de la diplomatie britannique, Philip Hammond. Photo AFP

L'accord sur le nucléaire iranien conclu en juillet dernier par l'Iran et ses interlocuteurs internationaux marque de toute évidence un point tournant dans les relations de la République islamique avec le reste du monde, et avec les États-Unis en particulier. Mais pourquoi a-t-il fallu tellement plus de temps aux États-Unis pour accepter la révolution de l'ayatollah Ruhollah Khomeyni en Iran qu'il ne leur en a fallu pour agréer la révolution de Mao Zedong en Chine ?

Une explication possible au gel prolongé des relations bilatérales est bien sûr le fallacieux discours de George W. Bush sur ce qu'il a sottement appelé la « guerre mondiale contre le terrorisme », une pièce dans laquelle l'Iran, aux côtés de l'Irak et de la Corée du Nord étaient les acteurs d'un « axe du mal » international. Dans ces circonstances, toute normalisation des relations diplomatiques ne pouvait être perçue que comme une politique d'apaisement inacceptable par les responsables américains.
Mais la politique étrangère moraliste de l'administration Bush ne faisait que confirmer la position des États-Unis depuis la révolution islamique iranienne de 1979. Une explication bien plus détaillée et convaincante des récents événements trouve son origine dans l'histoire et le déroulement de cette révolution.

Oublions la Révolution française comme modèle : la réaction thermidorienne, qui a vu le camp modéré mettre fin à la terreur de Robespierre, fut l'exception à la règle des révolutions des temps modernes. Le processus habituel des révolutions, aussi loin qu'on s'en souvienne, est que les partisans de la ligne dure succèdent aux modérés. En Union soviétique, par exemple, ce sont les tenants de la ligne dure qui ont, après la Seconde Guerre mondiale, cherché à exporter la révolution marxiste-léniniste, condamnant le monde à plusieurs décennies de guerre froide.
Ce fut également le cas en Iran. Après la mort de Khomeyni en 1989, le pragmatique Ali Akbar Hashemi Rafsandjani devint président et le réformateur Mohammad Khatami lui succéda. Mais les partisans de la ligne dure réagirent. Après l'échec des réformes de Khatami, un obscur officier de la milice Basij, Mahmoud Ahmadinejad, parvint à se faire élire maire de Téhéran en 2003 (avec la participation de 12 pour cent seulement des électeurs), et, en 2005, battit Rafsandjani à la course à la présidence.
Ahmadinejad, un fanatique disciple de Khomeyni, le premier guide suprême de la révolution, a incarné un retour à la genèse populiste de la révolution. Promouvoir une politique nucléaire agressive revenait à justifier l'antagonisme de Khomeyni envers les États-Unis, le Grand Satan. Ce n'est que lorsque les électeurs iraniens sanctionnèrent l'incompétence d'Ahmadinejad en élisant Hassan Rouhani en 2013 que la page de la révolution islamique put être considérée comme définitivement tournée.

Les États-Unis auraient-ils pu éviter le gâchis des années Ahmadinejad ? Ses prédécesseurs avaient sérieusement tenté d'améliorer les relations avec les États-Unis. Encouragé par la victoire de la coalition menée par les Américains lors de la guerre du Golfe de 1991 contre l'Irak (l'ennemi juré de l'Iran), Rafsandjani avait clairement signalé en 1995 aux États-Unis qu'il était prêt à rétablir les relations diplomatiques. Mais l'administration Clinton a rejeté ces avances, et, l'année suivante, le Congrès américain votait à l'unanimité la loi d'Amato-Kennedy qui renforçait les sanctions à l'encontre de l'Iran et de la Libye.
Il faut avouer que le président Clinton et ses conseillers avaient toutes les raisons d'être sceptiques. Rafsandjani était partiellement pris en otage par des opposants politiques plus extrémistes qui n'hésitèrent pas à saboter ses initiatives de politique étrangère au moyen d'actes terroristes ponctuels en France, Allemagne et Argentine. Par contre, Clinton et la secrétaire d'État de l'époque, Madeleine Albright, prirent au sérieux la proposition avancée par Khatami, le successeur de Rafsandjani, à l'Assemblée générale des Nations unies en 2000 d'un « dialogue entre les civilisations » destiné à ouvrir une brèche dans le « mur de méfiance » entre l'Iran et les États-Unis. Malheureusement, le nouveau guide suprême de la République, l'ayatollah Ali Khamenei, obligea le président et le ministre des Affaires étrangères iraniens à renoncer à la poignée de main officielle prévue avec leurs homologues américains.

Mais pour ceux qui espéraient un dégel des relations entre les deux pays, le pire restait à venir. Il y eut tout d'abord le discours de Bush de 2002 sur « l'axe du mal ». Ensuite, en 2005, alors que le conservateur Ahmadinejad allait entamer son premier mandat, Bush a formellement rejeté un accord sur le nucléaire iranien, laborieusement négocié par Rohani (alors représentant de Khamenei au Conseil suprême de Sécurité nationale de l'Iran) et ensuite signé fin 2004 par la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni.
En évaluant la situation stratégique, il apparut clairement aux Iraniens que les États-Unis avaient envahi l'Irak parce que Saddam Hussein n'avait pas d'armes de destruction massive. En conséquence, les classes populaire et moyenne iraniennes soutinrent la position jusqu'au-boutiste d'Ahamadinejad sur les « droits » nucléaires de l'Iran.
Malgré le désenchantement des Iraniens concernant la présidence d'Ahmadinejad, ce sentiment perdure en Iran. Mais l'accord sur le programme nucléaire iranien conclu le mois dernier est le résultat d'un contexte politique différent : le président Barack Obama est soucieux d'inscrire un accord avec l'Iran dans son héritage, et, cette fois-ci, Rohani, en qualité de président, a été en mesure de négocier avec le soutien de Khamenei, avec lequel il a étroitement collaboré (contrairement à Khatami).

Mais une autre raison, plus profonde, est à l'origine du succès des négociations sur le nucléaire iranien : la révolution islamique de Khomeyni de 1979 est arrivée à son terme, et Khamenei en est conscient. Il doit également se rendre compte du fait que l'exportation de la révolution islamique par l'Iran chiite a perdu de son attrait, remplacée dans le monde sunnite d'abord par le jihad mondial d'el-Qaëda et aujourd'hui par le soi-disant État islamique et le califat d'Abou Bakr al-Baghdadi.
Pour l'Iran, ce qui compte à présent n'est plus l'idéologie, mais les intérêts nationaux et la realpolitik. C'est pour cette raison que la République islamique soutient aujourd'hui les adversaires de l'extrémisme islamiste : Bachar el-Assad contre les insurgés islamistes en Syrie, et les houthis contre el-Qaëda au Yémen. Et c'est également pour cette raison qu'elle a non seulement signé un accord sur son programme nucléaire avec le Grand Satan, mais également qu'elle coopère tacitement avec les États-Unis contre l'État islamique, leur ennemi commun. Maintenant que la révolution est terminée, la coopération dans d'autres domaines pourrait devenir tout aussi attrayante.

© Project Syndicate, 2015.
Traduit de l'anglais par Julia Gallin.

Saïd Amir Arjomand, fondateur de l'Association pour l'étude des sociétés persanes, est professeur de sociologie et directeur du Stony Brook Institute d'études internationales de l'Université d'État de New York, à Stony Brook.

 

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