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Moyen Orient et Monde - Rencontre

« L’Iran est une nation de poètes »

Dans « Je vous écris de Téhéran » *, la journaliste Delphine Minoui livre un témoignage poignant de ses dix années passées en Iran, qui sonne comme une ode à son grand-père paternel disparu. De passage à Beyrouth, elle se confie à « L'Orient-Le Jour ».

La journaliste Delphine Minoui est correspondante du « Figaro » pour le Moyen-Orient. Archives AFP

Pourquoi avoir souhaité ce retour aux sources en vous installant en Iran en 1997 ?
Mon père iranien a quitté son pays à l'âge de 11 ans. Mon grand-père était diplomate et avait été nommé représentant de l'Iran à l'Unesco. Ma famille paternelle est restée quatre ans à Paris avant de repartir en Iran, mais mon père y est resté en pension. J'ai reçu une éducation très française, notamment parce que la famille de ma mère est parisienne et très catholique. J'ai grandi sans avoir vraiment conscience de mes origines. Au fil des années, je me suis posé des questions sur mes racines. En 1997, il y a eu un concours de circonstances. Je sortais diplômée de mon école de journalisme et ma curiosité par rapport au monde était grandissante. Cette année-là, on a commencé à beaucoup parler de l'Iran avec l'élection (à la présidence) de Mohammad Khatami, de cette image de mollah souriant qui rompait avec les années noires. L'Iran avait auparavant été résumé en trois mots : le terrorisme, l'islam et les tchadors noirs. C'est à ce moment-là que l'occasion d'aller en Iran en tant que journaliste, et ainsi renouer avec mes origines, me paraissait faisable. Mais c'est surtout à cause de mon grand-père paternel, qui vivait ses derniers jours, que j'ai ressenti une véritable déchirure et qu'une part de mon identité m'échappait. Je suis restée à ses côtés à l'hôpital. C'est lui qui m'a donné mes premiers cours de persan et m'a offert des poèmes. Quelques semaines plus tard, après son décès, l'idée de m'installer à Téhéran s'est imposée comme une évidence, comme un signe. Je pensais n'y rester que quelques semaines, mais au final, j'y suis restée dix ans. C'est donc mon grand-père qui a été l'initiateur de ce que j'appelle mon « voyage-reportage ».

Dans toute dictature, il y a des choses qui peuvent séduire. Par quoi avez-vous été séduite dans cette théocratie ?
L'Iran n'est pas un pays facile. On est entre la dictature et la démocratie. Ce n'est pas une dictature comme à l'époque de Saddam Hussein en Irak ou de la Libye sous Kadhafi, car il n'y a pas de parti unique. Mais c'est un système répressif qui fait la chasse aux libres penseurs, aux femmes mal voilées, aux activistes, aux médias. Dès qu'il y a un article qui déplaît, on arrête le rédacteur en chef et on l'oblige à mettre la clef sous la porte. Et en même temps, ce qui m'a happée, c'est cette société civile très riche, les jeunes, les femmes, les intellectuels, les ONG, ça bouillonne de partout. C'est cela qui m'a beaucoup touchée. Je dis toujours que l'Iran est une nation de poètes. Que vous soyez dans un dîner à une soirée, entouré de l'intelligentsia ou au fin fond d'un village, les gens vont vous déclamer des poèmes de grands poètes de la Perse antique. Mon éducation occidentale, très individualiste, a été bousculée par ce pays où l'on vous accueille à bras ouverts, alors que la vie est loin d'être simple.


(Lire aussi : Que reste-t-il de Khomeyni ?)

Vous sentiez-vous iranienne ?
Au début, pas du tout. Je ne parlais pas la langue. On me disait : « C'est très compliqué ici, on jongle entre la tradition et la modernité. » Les Iraniens portent différents masques, le « dedans et le dehors », c'est ce que j'explique dans mon livre. Dans l'espace public, les femmes sont prudentes, mais à la maison, elles sont habillées comme à Paris ou à Beyrouth. On allume la parabole, on commande de l'alcool caché dans un sac poubelle. C'est une vie double en permanence, difficile à décrypter. Dans ce livre, je raconte un processus d'« iranisation », et à un moment donné, j'ai été atteinte par le virus de l'« iranite ». J'ai appris la langue pour mieux m'imprégner de la culture.

Qu'en est-il de la jeunesse iranienne ?
Si j'avais vécu en Iran plus jeune, le fait de m'impliquer politiquement m'aurait paru comme une évidence. Quand j'ai assisté aux premières manifestations de 1999, je me suis dit que si j'étais dans leurs baskets, j'aurais fait comme eux, car ils avaient de vraies valeurs à défendre. Ce qui m'a également frappée chez les jeunes Iraniens, c'est le fait d'emprunter d'autres chemins pour faire passer un message. Car le risque de finir en prison est réel. Ils vont faire passer leurs idées par le biais de la culture, par le cinéma, la littérature ou la poésie... Mais cela passe aussi par des gestes de tous les jours. On mesure le degré de résistance, notamment chez une femme, à travers la couleur de son rouge à lèvres. Plus celui-ci va être fort, plus ces femmes repoussent les limites. Les femmes ont également créé une espèce de fronde clandestine contre l'interdiction d'assister aux matchs de foot, en se faufilant dans les gradins, la tête couverte d'une casquette. La culture iranienne est une constante transgression des interdits, d'audace, d'espièglerie directement ou indirectement politisée. Il y a également une fierté iranienne très forte.


(Lire aussi : L'Iran écartelé entre islam et modernité)


Compte tenu de l'avancée du dossier sur le nucléaire iranien, pensez-vous que le pays va s'ouvrir et se libéraliser ?

Il y a un espoir, mais on n'est jamais à l'abri d'un revers, c'est évident. Durant les 35 dernières années, nous avons eu de l'espoir avec Khatami puis une grosse désillusion avec Mahmoud Ahmadinejad, et cette brèche a été à nouveau ouverte, avec le président Hassan Rohani considéré comme un pragmatique. On a l'impression que de tous bords, surtout du côté des États-Unis et de l'Iran, il y a une volonté commune d'aboutir à un compromis après plus de dix ans de négociations. La main est tendue, mais du côté des néoconservateurs américains aussi bien que du côté iranien ultraconservateur, il y a des forces radicales qui mettent la pression.


* Delphine Minoui dédicacera son ouvrage, aujourd'hui vendredi 5 juin à 18h, à la librairie el-Bourj.

 

Pour mémoire
« Tripoliwood », de Delphine Minoui

Pourquoi avoir souhaité ce retour aux sources en vous installant en Iran en 1997 ?Mon père iranien a quitté son pays à l'âge de 11 ans. Mon grand-père était diplomate et avait été nommé représentant de l'Iran à l'Unesco. Ma famille paternelle est restée quatre ans à Paris avant de repartir en Iran, mais mon père y est resté en pension. J'ai reçu une éducation très française,...

commentaires (2)

DE QUELLE BALANCE ENTRE LA DICTATURE ET LA DÉMOCRATIE PARLE-T-ELLE ? LA THÉOCRATIE EST TOUJOURS LA DICTATURE LA PLUS RIGIDE...

LA LIBRE EXPRESSION

18 h 02, le 05 juin 2015

Tous les commentaires

Commentaires (2)

  • DE QUELLE BALANCE ENTRE LA DICTATURE ET LA DÉMOCRATIE PARLE-T-ELLE ? LA THÉOCRATIE EST TOUJOURS LA DICTATURE LA PLUS RIGIDE...

    LA LIBRE EXPRESSION

    18 h 02, le 05 juin 2015

  • Les ayatollah , Ahmadinejad les pasdarans furent de vrais poètes dans leurs genres....

    M.V.

    10 h 23, le 05 juin 2015

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