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Moyen Orient et Monde - Égypte

La malédiction Seif

Alors que la répression est de plus en plus forte contre la société civile, plusieurs figures de la révolution du Nil en 2011 paient le prix fort pour leur liberté de pensée. Dans ce sillage, Alaa Abdel Fatah et ses sœurs, fervents opposants du pouvoir militaire, enfants du célèbre avocat Ahmad Seif décédé il y a peu, sont devenus les symboles d'une nouvelle génération qu'on veut faire taire.

Photo d’archives montrant la libération d’Alaa Seif fin août, après le décès de son père. Photo AFP

« J'ai voulu que vous héritiez d'une société démocratique, qui protège vos droits. Finalement, je vous ai montré la voie vers la prison qui m'a détenu et qui vous détient aujourd'hui. » Des mots qu'Ahmad Seif a prononcés peu de temps avant sa mort, alors que deux de ses trois enfants étaient en grève de la faim dans les geôles égyptiennes. Le vieil homme, dévoré par un cancer foudroyant, a fermé les yeux loin d'eux, malgré les appels de la famille et de nombreux soutiens locaux et internationaux pour leur libération dans cette épreuve difficile.

Lorsque Alaa a été libéré sous caution en août dernier, quelques jours après le décès de son père, on s'est surpris à espérer un dénouement presque heureux. Mais ce mois, c'est une famille de nouveau ébranlée qui est sortie du tribunal de Shurah. Sanaa, 20 ans, cadette de la fratrie Seif, engagée dans la révolution du 25 janvier, apparaissant dans le célèbre documentaire The Square et fervente opposante aux tribunaux militaires, a été condamnée avec 22 coaccusés à 3 ans de prison pour avoir violé la loi antimanifestation, instaurée l'automne dernier. Et le cauchemar se répète, encore et encore. Il y a quelques jours, c'est le grand frère Alaa, blogueur réputé, défenseur des libertés fondamentales bafouées en Égypte, emprisonné de multiples fois et sous le coup d'une condamnation à 15 ans de prison en première instance, qui rejoint sa sœur derrière les barreaux, après le report de son procès en appel. « Le verdict de la cour est un verdict politique au premier degré. Il n'y a pas des preuves à charge contre les accusés », a vivement réagi Yasmine Hossameddin, l'une des avocates.

 

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Au nom du père
Depuis des années, le pouvoir égyptien s'acharne sur cette famille, devenue, dès l'ère Moubarak, une parole gênante. Farouche opposant de l'ancien raïs, Ahmad Seif le père a passé 40 années de sa vie à plaider dans les affaires les plus retentissantes avec le soutien de sa femme Laila. Arrêté en 1983 par les renseignements égyptiens et torturé pendant 5 longues années de détention, il avait décidé à sa sortie d'y dédier son militantisme. « La torture est un cancer qui ronge la jeunesse du pays, sa capacité à évoluer, se révolter et critiquer », déclarait-il en 1999, à la fondation du Centre Hicham Moubarak, un bureau d'avocats bénévoles, pour aider les victimes d'atteintes aux droits de l'homme. Malgré les pressions, il a assuré la défense des 52 hommes, soupçonnés d'homosexualité dans la célèbre affaire du Queen Boat en 2001 et des grévistes de 2008. Il fut aussi l'avocat de Karim Amer, premier blogueur égyptien derrière les barreaux pour son militantisme sur la toile, dont Alaa suivait la trace avec son blog Manalaa, récompensé en 2005 par le prix Reporters sans frontières. Un clin d'œil à son père. À moins que ce ne soit l'inverse. « Toute violence à l'encontre de la dignité humaine est une violation des droits de l'homme », aimait dire l'avocat à la bouille attendrissante derrière ses triples foyers.

 

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Cet homme-là ne donnait de répit à ses adversaires sur aucun front et a semé dans la tête de ses enfants l'envie de se battre pour une société plus juste. Des enfants qui ont cru au fleurissement des belles idées de leur père lors de la révolution et qui récoltent aujourd'hui les fruits pourris d'un pouvoir qui musèle à tout vent, faisant se répéter une bien triste histoire.


Juste avant la sentence, Alaa, twittos hyperactif aux 651 000 abonnés, a posté ce message prémonitoire : « Je m'attendais à mieux pour eux, j'ai cru qu'ils libéreraient Sanaa et m'enfermeraient à sa place. Il s'avère que nous serons deux à aller en prison. »
Mona et sa mère, les seules de la famille encore épargnées par la chasse aux voix dissidentes, ont annoncé durcir la grève de la faim qu'elles observent depuis le 4 septembre, en supprimant l'eau de leur régime quotidien.

 

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« J'ai voulu que vous héritiez d'une société démocratique, qui protège vos droits. Finalement, je vous ai montré la voie vers la prison qui m'a détenu et qui vous détient aujourd'hui. » Des mots qu'Ahmad Seif a prononcés peu de temps avant sa mort, alors que deux de ses trois enfants étaient en grève de la faim dans les geôles égyptiennes. Le vieil homme, dévoré par un cancer...

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