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Santé

Inégalités riches-pauvres en matière de santé

Johan P. Mackenbach est professeur de santé publique et président du département de santé publique à l’Erasmus MC, Centre médical de l’Université de Rotterdam, et membre de l’Académie royale néerlandaise des arts et des sciences.

Par Johan P. MACKENBACH

Les personnes se situant le plus bas sur l’échelle socio-économique (celles que l’on détermine selon leur niveau d’instruction, leur profession ou leurs revenus) vivent en moyenne moins longtemps et en moins bonne santé que celles évoluant sur des échelons supérieurs. L’espérance de vie à la naissance est en effet susceptible de varier à hauteur de cinq à dix ans en fonction de la situation sociale et économique de l’individu, les plus pauvres souffrant dix à vingt ans de plus de la maladie ou du handicap au cours de leur existence que les plus riches.
Une telle situation n’aurait pas été surprenante au XIXe siècle, compte-tenu de la faiblesse du revenu moyen, de l’ampleur de la pauvreté, ainsi que du manque de Sécurité sociale. Or ces chiffres se vérifient encore aujourd’hui au sein des pays à haut revenu, dont ceux présentant des indices élevés de prospérité économique et de développement humain – et même dans les États d’Europe occidentale les plus généreux sur le plan social.
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pays d’Europe de l’Ouest s’efforcent de réduire les inégalités socio-économiques ou d’en atténuer les conséquences, au moyen d’un impôt progressif, de programmes de Sécurité sociale, ainsi que de nombreuses prestations financées par la collectivité, telles que le logement social, l’instruction publique, la santé, la culture et les loisirs. Mais si ces politiques ont permis de réduire les inégalités dans certains domaines socio-économiques, notamment en matière de revenus, de qualité des logements et d’accès à la santé, elles se sont avérées insuffisantes dans l’élimination des inégalités en termes de santé.
Plusieurs données chronologiques à long terme indiquent que l’écart socio-économique de mortalité a diminué pendant un certain temps jusqu’aux années 1950, mais a substantiellement augmenté depuis. Le constat le plus troublant réside dans le fait que les États procédant aux politiques sociales les plus généreuses ne constituent pas une garantie de réduction des disparités dans le domaine de la santé. Même les pays nordiques – champions internationaux lorsqu’il s’agit de concevoir des politiques sociales abouties et universelles capables de protéger les citoyens tout au long de leur vie – présentent de fortes disparités en matière de santé, malgré une inégalité relativement faible en termes de revenus.
Les États-providence modernes sont loin d’avoir fait disparaître les inégalités sociales, les disparités d’accès aux ressources matérielles et humaines continuant de générer une inégalité de vie parmi les citoyens. Pour autant, l’objectif de l’État-providence n’a jamais consisté en une redistribution radicale des richesses. Les politiques sociales sont davantage destinées à établir un compromis entre les intérêts des employés et des employeurs, des ouvriers et de la classe moyenne. Par conséquent, les effets de redistribution s’avèrent modestes.
Ainsi, bien que cet échec de l’État-providence contribue en partie à expliquer la persistance des inégalités de richesse, il convient d’explorer d’autres directions pour pouvoir comprendre – et inverser – leur aggravation. Deux explications possibles se dégagent d’une littérature scientifique de plus en plus riche sur le sujet : mobilité sociale sélective ascendante et diffusion retardée du changement comportemental. En réalité, ces deux facteurs entrent en jeu.
Au cours du XXe siècle, la mobilité sociale a augmenté lentement mais sûrement dans l’ensemble des pays à haut revenu, la réussite dans les études et le statut professionnel dépendant moins du milieu familial de l’individu que de ses capacités cognitives et autres caractéristiques personnelles. Ainsi, les catégories socio-économiques les moins favorisées ont non seulement diminué en nombre, mais se sont également probablement homogénéisées s’agissant des caractéristiques personnelles de nature à accroître les risques de problèmes de santé.
Par ailleurs, les individus bénéficiant d’une position socio-économique supérieure ont tendance à adopter de nouveaux comportements rapidement dans leur existence, étant par ailleurs plus enclins à s’interdire un certain nombre de comportements nuisibles pour la santé, tels que le tabagisme ou les régimes alimentaires trop gras. Ainsi, les nouvelles recommandations de comportement émises par les autorités sanitaires tendent à exacerber les inégalités en matière de santé, au moins temporairement.
D’importantes disparités relatives au tabagisme, à l’exercice physique, au régime alimentaire et à la consommation d’alcool affectent de nombreux États-providence d’Europe occidentale. Le système social, créé pour combattre la pauvreté, s’est avéré moins efficace contre les « maladies de l’affluence » telles que les problèmes cardiaques et le cancer du poumon.
Tout cela souligne la nécessité de concevoir des solutions innovantes face aux disparités qui mettent inutilement et injustement en danger la vie de ceux dont les ressources sont les plus faibles, qui génèrent des coûts considérables pour le système de santé, et qui entravent la pleine participation de la main-d’œuvre (ce qui complique dans certains pays les démarches destinées à retarder l’âge de la retraite).
Ces dernières décennies, les politiques sociales de la plupart des États européens occidentaux se sont éloignées de la redistribution. Il s’agit là d’une erreur, dans la mesure où les conséquences de cet éloignement – creusement des inégalités de revenus, fragilisation des filets de Sécurité sociale et réduction de l’accès aux soins de santé – sont vouées à aggraver à long terme les inégalités en termes de santé.
En réalité, l’existence de politiques redistributives et mieux ciblées, liées aux effets de la mobilité sociale sélective ascendante et des rythmes divers de la diffusion du changement comportemental, s’avère cruciale dans l’amélioration de la santé des individus appartenant aux catégories socio-économiques les plus défavorisées. Il serait bénéfique de compléter l’aide aux revenus par des programmes de santé préventifs, tandis que des programmes de sensibilisation aux questions sanitaires pourraient permettre de réduire le lien entre faiblesse des capacités cognitives et problèmes de santé.
Une égalité d’accès à la santé n’est pas suffisante. La réduction des inégalités dans ce domaine exige la possibilité de soins plus intensifs pour les patients se situant sur les plus bas échelons socio-économiques, des soins qu’il conviendrait d’adapter à leurs besoins et difficultés spécifiques. Par exemple, les recettes fiscales sur le tabac, lequel affecte de manière disproportionnée les catégories aux revenus les plus faibles, pourraient être utilisées pour financer des programmes d’arrêt du tabac ciblés sur les fumeurs les plus défavorisés.
L’ampleur et la persistance des inégalités en matière de santé sont la preuve qu’une amélioration de l’état de santé des individus les moins instruits et les plus nécessiteux permettrait de faire des progrès considérables en faveur
de populations entières. Cela pourrait nécessiter la refonte du système social dans une certaine mesure, le jeu en valant néanmoins très largement la chandelle.

© Project Syndicate. Traduit de l’anglais par Martin Morel.
Par Johan P. MACKENBACH Les personnes se situant le plus bas sur l’échelle socio-économique (celles que l’on détermine selon leur niveau d’instruction, leur profession ou leurs revenus) vivent en moyenne moins longtemps et en moins bonne santé que celles évoluant sur des échelons supérieurs. L’espérance de vie à la naissance est en effet susceptible de varier à hauteur de cinq...

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