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À La Une - Syrie

À Raqqa, les islamistes imposent leur loi... avec retenue

À Raqqa, les drapeaux de la rébellion et des islamistes semblent cohabiter sans problèmes majeurs. Hamid Khatib/Reuters

Jusqu’à présent, grâce à leur retenue, les islamistes ont gagné la sympathie de la plupart des habitants de Raqqa, dans le nord-est de la Syrie, y compris ceux qui s’opposent à leur projet d’imposer un ordre moral draconien et de créer un califat. Des affiches placardées par des membres du Front al-Nosra, affilié à el-Qaëda, montrent par exemple une silhouette voilée accompagnée d’un message : « Vous êtes comme une perle dans votre chasteté. » Mais des femmes non voilées peuvent encore marcher librement dans les rues de cette ville de 250 000 habitants, et un homme affirme pouvoir facilement se procurer du whisky, à condition de le boire chez lui.


Autre exemple : un soir de juin, des résidents ont organisé une exposition d’objets artisanaux afin de récolter de l’argent pour les familles pauvres. Hommes et femmes ont dansé sur de la musique diffusée par un poste stéréo. Rima Adjadji, qui porte le voile, est l’une des organisatrices de l’événement. Elle juge qu’al-Nosra, l’un des groupes les plus puissants localement, est injustement diabolisé par les médias. « Ils les appellent des terroristes. On ne peut pas accepter ça, s’indigne-t-elle. Ce sont nos fils. Ils nous défendent, nous les défendons. » Elle montre la salle, indique des femmes portant foulards et robes colorés, d’autres sans voile. « On s’habille comme on veut. Regardez ces filles. Si les islamistes avaient voulu imposer leur loi, ils auraient interdit l’exposition », insiste-t-elle.

« L’ennemi de mon ennemi est mon ami »
D’autres habitants prennent l’exemple de l’université, qui est restée portes closes pendant un mois après la conquête de la ville par les rebelles, mais qui fonctionne aujourd’hui plus ou moins normalement. Les groupes armés n’ont pas le droit de pénétrer dans l’espace clos du campus, où étudiants des deux sexes bavardent dans les couloirs ou partagent leurs repas à la cafétéria. Ahmad Jaber, 22 ans, inscrit en chimie et membre d’un syndicat étudiant, précise que 80 % des étudiants assistent aux cours et que les examens auront lieu comme prévu. La vie à Raqqa s’est améliorée ces derniers mois, reconnaît-il, même si des querelles éclatent entre brigades islamistes et unités plus laïques. « Tout le monde a intérêt à régler ces divergences », estime-t-il. Lors de la prise de la ville par les insurgés en mars, des habitants ont manifesté pour réclamer des autorités civiles. D’autres, se ralliant au Front al-Nosra, ont exigé un gouvernement islamique. Mais depuis, chacun a décidé de mettre de côté ces différends et de se borner à appeler à la chute de Bachar el-Assad. « Après l’enfer du régime, on considère cela comme une excellente situation, poursuit Ahmad Jaber. Ici, il y a un vide sécuritaire, c’est le chaos, et parfois il y a des disputes. Mais c’est bien mieux qu’avant. » Salwa el-Janabe, une étudiante de 27 ans, voilée, estime pour sa part que l’idéologie islamiste est hors sujet, du moins pour l’instant. « Je m’inquiète de quelque chose de plus vaste que le hijab ou le niqab », dit-elle par allusion au foulard islamique et au voile couvrant totalement le visage. L’important pour l’instant, c’est « la libération et la liberté. Une vraie liberté ». Mohammad Chaïb, 26 ans, milite quant à lui dans un groupe laïque. Il se méfie des islamistes mais ne voit pas d’autre choix pour le moment. « Nous travaillons selon le principe que l’ennemi de mon ennemi est mon ami. »


En attendant, demandez partout en ville qui contrôle Raqqa, on vous répondra certainement Ahrar ech-Cham, une organisation qui chapeaute plusieurs groupes islamistes et collabore étroitement avec le Front al-Nosra. Ahrar ech-Cham préfère se définir comme un mouvement (haraka) plutôt que comme une brigade (liwa’). « Il y a des groupes qui ne s’occupent que du combat, nous avons d’autres objectifs », explique Abou Mohammad el-Husseini, 30 ans, directeur du bureau politique d’Ahrar ech-Cham. Le groupe fournit ainsi de l’électricité et de l’eau. Ses membres assurent la sécurité des silos de grains et surveillent toute la chaîne du pain, des champs de blé aux boulangeries, qui fonctionne sans accroc. Ahrar ech-Cham dit n’avoir aucun différend majeur avec al-Nosra, hormis sur quelques « détails opérationnels ». Il refuse d’évoquer quel visage pourrait avoir la future Syrie, mais souligne que l’islam « a une vision pour construire la société ».

Rôle de la charia
De tous les services publics mis en place par les rebelles, l’« autorité de la charia », une sorte de système judiciaire rudimentaire, joue un rôle central. Ses membres sont choisis parmi des représentants âgés de la communauté. Les brigades les plus implantées y envoient leurs délégués. Les islamistes y sont plus nombreux que les laïques, en raison de leur puissance et parce qu’ils ont été parmi les premiers à mettre en place cette structure. La plupart des différends que l’autorité de la charia est appelée à trancher sont de banales querelles financières. Elle fournit aussi des formulaires de propriété ou des licences pour l’import-export dans les zones sous contrôle rebelle. Pour les crimes plus graves, les tribunaux n’imposent pas de sanctions sévères car la loi islamique prévoit que de telles sanctions peuvent être suspendues ou allégées en temps de guerre. La plupart des cas se terminent par le versement d’une amende à la victime ou une peine d’emprisonnement légère.


Cette autorité de la charia est répliquée dans de nombreuses zones sous contrôle rebelle, comme à Alep où elle a d’abord pris forme autour d’un noyau d’une douzaine de personnes qui voulaient « rendre la justice », raconte Abou Baraa, un jeune militant islamiste de 22 ans. Aujourd’hui, elle compte une dizaine d’antennes dans la ville et d’autres encore à travers la province d’Alep. « Nous étions tous d’Ahrar ech-Cham. Puis les autres brigades nous ont rejoints et on est devenu de plus en plus gros. C’est comme ça que les choses marchent. On commence petit et on grossit », explique Abou Baraa, qui espère voir un jour ce gouvernement diriger un véritable État islamique.

 

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