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À La Une - Le point

L’illusion du changement

Feindre de soulever, ne fût-ce que légèrement, le couvercle de la marmite pour éviter qu’elle ne vous explose au visage... La technique réussit presque toujours, avec le risque toutefois que les effluves de liberté ainsi dégagées ne grisent le bon peuple au point de lui faire perdre la raison.
Machiavéliques calculateurs ou piètres stratèges, les maîtres de Téhéran ? On hésite, avec toutefois une préférence pour le premier qualificatif. Lancés dans la bataille en ordre dispersé, les candidats du régime n’ont pas vu le danger représenté par le retrait de Gholam-Ali Hadad-Adel, proche du réformiste Mohammad Khatami, sacrifié – parce que trop faible – afin d’éviter une funeste dispersion de voix. Resté en lice comme unique représentant de l’opposition, Hassan Rouhani n’avait plus qu’à prêcher la bonne parole pour caracoler en tête et se payer le luxe d’une victoire par K.-O. au premier tour, évitant ainsi au guide de retomber dans l’erreur de 2005 quand un grossier bourrage des urnes avait permis à Mahmoud Ahmadinejad d’obtenir un second mandat.
À l’actif du clan Rafsandjani, on notera qu’il a le triomphe discret. Trop discret peut-être : à peine élu, son poulain s’est empressé de demander audience au Rahbar (guide) après s’être sagement abstenu de promettre la lune à ces deux tiers des 70 millions d’Iraniens qui ont moins de 35 ans. « Les problèmes ne seront pas résolus en une nuit mais par étapes et en consultant les experts », c’est-à-dire les religieux, a-t-il dit. Dans sa première conférence de presse depuis son élection, l’ancien négociateur avec les Occidentaux sur le dossier a invité les États-Unis à reconnaître « les droits nucléaires de l’Iran » et s’est prononcé contre tout arrêt de l’enrichissement de l’uranium. La veille, il avait invité « les nations qui prônent la démocratie et le dialogue à respecter le peuple iranien et à reconnaître les droits de la République islamique ». Il y a eu aussi sur la TV nationale cette petite phrase qui porte sa griffe et qui a dû en faire rager plus d’un : « Ma victoire est celle de la sagesse et de la modération. »
Signe que l’ayatollah Ali Khamenei demeure maître du jeu : le nouveau président devra attendre la ratification le 3 août du vote de samedi dernier avant de prêter serment devant les membres du Majlis. Présenté, lors de sa désignation au lendemain de la mort de Rouhollah Khomeyni, comme un religieux sans réelle envergure religieuse (il n’était alors que hodjatoleslam) et sans avenir politique, le guide a commencé par neutraliser le successeur désigné du numéro 2 de la révolution de 1979, le tout-puissant Hussein-Ali Montazeri, puis est venu à bout de ses autres adversaires – Khatami, Rafsandjani, Mahdi Karroubi, Ahmadinejad –, achevant, à l’issue de vingt-quatre années de règne, de consolider ces derniers temps les assises de son autorité.
Étrange autorité en fait, en vertu de laquelle le guide détient tous les pouvoirs sans assumer aucune responsabilité. C’est ainsi qu’il a supprimé la fonction de Premier ministre, dont le dernier titulaire fut Mir Hossein Moussavi (1981-1989), soupçonné de se poser en rival. Demain, il pourrait d’un trait de plume abolir la présidence de la République sans que nul ne s’aventure à discuter sa décision, « divine » comme le fut le maintien en place, en 2005, du chef de l’État.
Ahmadinejad éliminé – par procuration, pourrait-on dire, puisque sa mise hors circuit est due au rejet de la candidature de Machaeï à la première magistrature –, les adversaires du régime ne se recrutent plus que dans les rangs des hommes de religion, ce qui les portent à resserrer les rangs pour éviter que la direction des affaires ne vienne à leur échapper. C’est à croire que chacun trouve son compte dans la situation actuelle : l’élite cléricale aux commandes depuis trente-quatre ans; les pasdaran, bassidji et autres fidèles qui profitent de la manne révolutionnaire ; la rue enfin, qui croit l’avoir emporté et hurlait l’autre soir « Mort au tyran » quand son héros rendait hommage à celui-ci.
À la veille de son élection en 1997, Khatami n’était qu’un obscur directeur de la Bibliothèque nationale. Par contre, son lointain successeur, le « cheikh diplomate », s’est constamment trouvé dans les allées du pouvoir ; il possède en outre d’indéniables dons de négociateur et de conciliateur, sachant de plus slalomer habilement entre les mines.
Autant de qualités dont il aura besoin s’il veut répondre aux aspirations d’une jeunesse de plus en plus exigeante et calmer l’impatience du groupe des 5+1. Savent-ils seulement, ces mollahs parvenus en fin de course, que cet homme représente leur dernière carte ?
Feindre de soulever, ne fût-ce que légèrement, le couvercle de la marmite pour éviter qu’elle ne vous explose au visage... La technique réussit presque toujours, avec le risque toutefois que les effluves de liberté ainsi dégagées ne grisent le bon peuple au point de lui faire perdre la raison.Machiavéliques calculateurs ou piètres stratèges, les maîtres de Téhéran ? On hésite,...

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