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À La Une - Entretien

Les jeunes Libanais et le Web

Il dirige l’unité des nouvelles technologies éducatives de la faculté des sciences de l’éducation à l’USJ. Il est chargé de recherche à l’unité interdisciplinaire de recherche en Web Science au Cemam, enseigne dans plusieurs facultés et coordonne un programme de master dédié à l’économie numérique à la faculté de sciences économiques. Rencontre avec Stéphane Bazan.

Q. Quels usages font les Libanais du Web aujourd’hui ?
R. Les Libanais utilisent énormément le Web et ses applications. Selon Alexa (un des principaux outils statistiques sur Internet), les sites les plus visités au pays du Cèdre sont dans l’ordre Facebook, Google, YouTube, Yahoo et... al-Manar. Wikipedia ou Twitter n’arrivent que plus loin dans le classement. Au niveau mondial, Google est largement en tête, devant Facebook et YouTube. À noter d’ailleurs qu’aujourd’hui, le Web ne représente qu’une petite partie de l’usage d’Internet : le streaming vidéo a largement dépassé le protocole du Web en tant que principal usage du réseau.

Quelles sont les particularités du comportement des jeunes Libanais en ligne ?
Beaucoup de jeunes Libanais utilisent le Web pour leurs divertissements et leur comportement n’est pas vraiment différent de celui de leurs contemporains des pays occidentaux. Contrairement à d’autres pays de la région, nous n’avons pas de vraie censure officielle sur le Web au Liban. Et aucune plateforme n’est formellement interdite. Ce qui aujourd’hui différencie, dans les usages qu’ils font, les jeunes Libanais des jeunes Occidentaux, c’est encore un retard dans l’utilisation du e-commerce. Le manque d’offres commerciales intéressantes sur les plateformes e-commerce libanaises et le manque de régulation officielle de ce domaine limitent beaucoup les possibilités offertes.

Quelle plateforme est la plus utilisée au Liban ?
Au Liban, Facebook est évidemment la plateforme la plus utilisée, car elle propose en un seul lieu virtuel tous les usages du Web social : partage, expression, jeu, réseautage. Je suis souvent étonné de voir à quel point, pour beaucoup d’étudiants, le Web se limite à Facebook. Et c’est un peu dommage, car le Web regorge de milliards d’informations passionnantes. Facebook est hélas devenu la place publique libanaise. On y poste tout et n’importe quoi. De nombreux débats importants de la société libanaise y sont maintenant transposés : politique, société, religion, statut individuel, etc. Ce n’est pas par Facebook que les causes importantes avanceront au Liban. Les phénomènes de mobilisation en ligne vantés par les partisans de la « doctrine Google » n’ont pas eu les résultats escomptés, en Égypte, en Tunisie et en Syrie. Au contraire, comme Morozov, je dirais que les régimes répressifs et policiers ont été beaucoup plus rapides à comprendre les opportunités offertes par la surveillance des opinions individuelles sur les réseaux sociaux.

Quels sont les dangers de Facebook ?
Ce qui me fait vraiment souci à ce sujet ? La plupart des utilisateurs n’ont aucune idée de son fonctionnement. Ils ne se demandent pas où vont les informations, qui y a accès, comment elles sont exploitées et conservées. Il est pourtant clairement stipulé dans les conditions d’utilisation de Facebook que tout ce qui est posté sur Facebook appartient à Facebook et que Facebook peut en faire l’usage qu’il souhaite sans consulter l’utilisateur concerné. Twitter ou Facebook ne sont pas des espaces publics, ils appartiennent à des entreprises privées américaines. Donc attention, on ne peut pas dire ni faire ce que l’on veut sur les réseaux sociaux. Mais ces entreprises sont aujourd’hui sommées de respecter le droit des pays dans lesquels leurs plateformes sont utilisées.
Sans compter les dangers qui relèvent davantage de la nature sociale du réseau, même si vous êtes caché derrière un nom d’utilisateur et un avatar. Les réputations vont vite sur les réseaux et la propagation des informations est incontrôlée, illimitée et instantanée. Le cyberharcèlement est un phénomène qui ne touche pas seulement les jeunes, mais aussi les entreprises, les personnalités publiques, les institutions. Une autre conséquence de la pérennité de l’information sur le Web est que les données ne s’effacent pas seules. Et un contenu posté il y a 5 ou 10 ans sur le Web est toujours là, quelque part.

La solution ?
La solution la plus évidente serait de ne pas utiliser ces services. Mais c’est se tenir à l’écart de nombreux avantages : communiquer plus efficacement est obligatoire pour un jeune aujourd’hui. Pour ses études, son futur professionnel, son intégration dans le monde moderne et globalisé, le Web reste un outil incontournable. Ma solution, c’est l’éducation. À l’USJ, nous avons lancé plusieurs matières de culture Web ou de Web Science pour donner aux étudiants une meilleure compréhension des phénomènes du Web et du numérique. Chaque année, je propose aussi un atelier pour des éducateurs ou des responsables pédagogiques dans les écoles pour les aider à mieux comprendre le Web et ainsi leur donner des arguments justes pour les décisions qu’ils prennent sur ces sujets.

Un dernier mot ?
Les chercheurs en Web Science essayent de comprendre ce phénomène de coconstitution : le Web transforme la société ou la personne qui l’utilise. Mais le Web est aussi transformé par cette utilisation, et parfois cette transformation est tellement rapide qu’il est impossible de l’observer. Il ne faut pas craindre l’évolution technologique, il faut la comprendre pour en anticiper les effets. Il faut développer la recherche et la formation sur ces sujets, et c’est pourquoi nous tenons chaque année, avec la communauté Web Science, un atelier international (l’an dernier à Chicago, cette année à Paris) sur l’enseignement du Web où des enseignants, des étudiants et des responsables de programmes échangent leurs vues et leurs expériences. Le Web n’est pas une discipline, mais il concerne aujourd’hui chaque domaine scientifique, et surtout il modifie considérablement notre rapport à l’information et notre façon d’apprendre. Les écoles et les universités sont confrontées quotidiennement à ces changements et doivent dès maintenant mettre en place des stratégies pour y répondre efficacement et éviter les écueils de la technophobie.

Propos recueillis par
Roula AZAR DOUGLAS



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