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À La Une - L’éclairage

Saïda, nouveau centre de gravité de la paix civile

« C’est à Saïda que la paix civile sera consolidée ou c’est de Saïda que l’étincelle de la discorde jaillira. » C’est avec ces mots dramatiques que le ministre de l’Intérieur, Marwan Charbel, a plaidé, lors du dernier en date des Conseils des ministres, au Grand Sérail, en faveur de la proclamation de Saïda comme « zone militaire ».
On sait maintenant que la proposition n’est pas passée, mais il n’est pas inutile de revenir sur l’argumentation développée de part et d’autre, pour en saisir les enjeux.


De source proche du ministre de l’Intérieur, on précise que ce dernier a affirmé que la politique suivie par les autorités publiques à l’égard de cheikh Ahmad el-Assir, depuis trois mois, était ridiculement naïve et qu’elle a eu pour effet de renforcer le courant salafiste et d’accroître la popularité du dignitaire sunnite dans d’autres régions que la sienne.
Quoi qu’il en soit, la proposition de M. Charbel a été accueillie froidement par tout le spectre des forces prosyriennes, ainsi que par le PSP et même par Nazem el-Khoury. Pour certains, une décision de cet ordre relevait du Conseil national de défense et non du Conseil des ministres. D’autres voix se sont élevées pour dénoncer une mesure qui revenait purement et simplement à décréter l’état d’urgence.


Curieusement, Gebran Bassil proclamait son appui à la mesure proposée et manifestait sa crainte de voir l’État perdre le contrôle de la situation.

Le statut particulier de Saïda

En fait, M. Bassil se montrait sensible aux arguments avancés par le ministre de l’Intérieur en faveur de sa proposition. M. Charbel avait en effet souligné que la ville de Saïda jouissait d’un statut particulier, du fait de la proximité du plus grand des camps palestiniens du Liban, celui de Aïn el-Héloué. Or, ajoutait M. Charbel, ce camp est une réserve d’éléments les plus extrémistes du spectre salafiste aussi bien arabe que proprement palestinien : el-Qaëda, Jihad islamique, Fateh islamique, cellules terroristes diverses. Il est donc de la plus élémentaire des prudences, avait fait valoir M. Charbel, de prendre les dispositions nécessaires afin que la situation explosive née de l’incident du quartier de Taamir soit circonscrite.

 

(Pour mémoire : Accrochages entre salafistes d’al-Assir et le Hezbollah à Saïda : des morts et des blessés)


À prédominance chiite et contrôlé par le Hezbollah, le quartier de Taamir avait en effet été la scène d’un guet-apens tendu par des miliciens chiites au convoi du dignitaire salafiste. Ce dernier s’y était engagé afin de le « nettoyer » des banderoles, jugées provocatrices, que le Hezbollah y avait tendues, pour la commémoration de l’Achoura. Deux de ses hommes y avaient laissé la vie.

Le Hezbollah : « Nous réagirons... »

Toutefois, les ministres du Hezbollah ne l’ont pas entendu de cette oreille et, tout comme leurs alliés du 8 Mars, ils ont refusé d’approuver « cet état d’urgence qui ne dit pas son nom ». Pour eux, il n’était pas question d’accepter que l’armée prenne en charge l’état de la sécurité à Saïda, contrôle le mouvement en hommes et en équipement de la résistance islamique, avec la possibilité d’arrestations et de perquisitions des entrepôts d’armes qui s’y trouveraient, l’élimination des apparences armées, etc.


Certains ministres n’ont pas hésité à y voir un début de répression de la résistance et le risque de voir ses adversaires demander qu’un surcroît de mesures répressives soit pris, pour mette fin à une situation qu’ils jugent anormale.
Alors que certains ministres du Hezbollah se taisaient « pour laisser d’autres s’exprimer pour eux », le ministre Hussein Hajj Hassan affirmait, menaçant : « Nous ne permettrons pas que la route du Sud soit coupée au niveau de Saïda. C’est notre position et nous le disons franchement, nous réagirons. »


D’un autre côté, plusieurs ministres, moins émotifs, soulignaient que le règlement de la situation explosive à Saïda devait être politique et non sécuritaire. Le Conseil national de sécurité, qui avait suivi la réunion du Conseil des ministres, avait entériné les décisions de celui-ci, tout en demandant que la loi soit strictement et fermement appliquée à tous. Pour certains ministres traditionnalistes, ces recommandations suffisaient pour que Saïda soit considérée comme « zone militaire ».

 


La réaction de cheikh el-Assir

Ce flottement typiquement libanais dans l’application velléitaire de la loi devait être immédiatement mis à profit par cheikh Ahmad el-Assir pour annoncer son intention de créer ses propres « phalanges de la résistance » à Israël. Mais en toute logique, ces phalanges seraient soumises aux ordres du commandement de l’armée, puisque cheikh Ahmad el-Assir est un partisan farouche d’un État libanais centralisé.


Certes, cette décision a été provisoirement suspendue, quelques jours plus tard, afin de permettre à l’imam de consulter ses alliés sur ce point. Il lui est apparu en effet que d’autres dignitaires salafistes, à Tripoli, au Akkar et dans la Békaa, contestent, comme lui, le monopole que s’est arrogé le Hezbollah chiite, de la lutte contre Israël.
Mais si cette argumentation – et l’hostilité à Israël – est sincère, il n’est pas moins vrai que cheikh el-Assir et la mouvance sunnite n’acceptent plus, après le réveil du peuple syrien, à grande majorité sunnite, que le Hezbollah chiite agisse en maître au Liban, pour le compte de l’Iran, y établisse son État parallèle et se moque objectivement des orientations de « distanciation » tracées par le chef de l’État et convenues à la table de dialogue.
Et ces milieux de rappeler que plus de 20 réunions plus tard, la stratégie de défense que cette table de dialogue doit mettre au point n’a toujours pas vu le jour, et pour cause : pour le Hezbollah, depuis la guerre israélienne de 2006, la seule stratégie gagnante est la sienne, et il n’est pas question d’en discuter. Certains experts vont plus loin et affirment que le Hezbollah n’est même pas autorisé, pour des motifs religieux liés à son allégeance à l’ayatollah Khamenei, le « wali el-fakih », de se comporter librement en la matière.

Craintes

Ce que redoutent enfin les milieux de cheikh Ahmad el-Assir, c’est que dans son aventurisme, le Hezbollah, obéissant à des considérations stratégiques iraniennes, ne veuille alléger la pression sur Gaza en utilisant le Liban-Sud comme rampe de lancement de missiles, entraînant l’État libanais dans la tourmente de la guerre.
Pour un membre du gouvernement, lier le Liban au dossier régional serait une erreur impardonnable, et le Liban doit s’en tenir strictement à la politique de distanciation qu’il a définie à l’égard de la révolution syrienne, comme à l’égard de tout ce qui touche de près ou de loin à cette crise.

 

Pour mémoire

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